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et criminels ont pour caractère commun d’être des improductifs et par conséquent des antisociaux. La prostitution constitue donc une forme de criminalité, une criminalité d’impuissance, qui dispense la femme plus souvent que l’homme de la criminalité violente.

M. Tarde, qui admet avec quelques réserves le type criminel, pense qu’il s’agit d’un type professionnel analogue à ceux qu’il suppose exister dans l’armée, dans le clergé, etc. D’après lui, ceux qui sont doués de certaines facultés spéciales sont entraînés naturellement vers le « mode d’activité sociale » auquel ils sont le plus aptes ; mais si ce genre d’activité vient à être supprimé, ils sont capables de s’adapter à une autre profession. Il en résulterait que le type criminel ne serait qu’un type créé par les conditions sociales, et par conséquent susceptible d’être modifié ou même supprimé ; ce serait un type transitoire. Il n’y a malheureusement aucun fait qui puisse servir d’appui à cette manière de voir. Les soi-disant types professionnels ne sont établis par aucune observation anatomique ou physiologique précise ; et, d’ailleurs, la criminalité ne peut pas être considérée comme un « mode d’activité sociale », analogue à celui qui entre dans une profession quelconque. Le désir de se procurer le plus de jouissance possible avec le moins de peine possible est naturel à l’homme ; ce désir est le mobile de tous les progrès de l’adaptation ; mais pour qu’il donne lieu à un « mode d’activité » qui mérite vraiment la qualification de « sociale » il faut qu’il ne soit pas tellement intense qu’il en vienne à se satisfaire aux dépens du travail d’autrui, qu’il choque violemment les intérêts de la généralité des autres hommes. Lorsque ces intérêts ont été choqués, c’est qu’il s’est produit quelque chose d’antisocial ; l’auteur de ce quelque chose d’antisocial est un antisocial, un nuisible. Les antisociaux ont un caractère commun : c’est précisément l’inaptitude à une activité sociale. Cette inaptitude peut être momentanée, passagère ou continue, permanente ; elle est toujours organique ; mais, suivant son degré, elle subit plus ou moins les influences extérieures.

Le type criminel n’est pas suffisamment défini, ni séparé des types qu’on peut considérer comme normaux ; il reste confondu par un grand nombre de caractères avec le type dégénéré, auquel ni Morel ni ceux qui l’ont suivi n’ont d’ailleurs essayé de fixer dès limites précises ; il est donc impossible de baser sur lui une règle de conduite vis-à-vis des nuisibles, des antisociaux, qui restent sans caractère objectif spécifique.

Ce n’est pas que je veuille amoindrir la valeur de l’œuvre de M. Lombroso et de ses émules : si nous savions que le caractère principal du criminel est d’être laid, « monstrum in fronte, mons-