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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

né, incorrigible, contre lequel il n’y a qu’une mesure scientifique à prendre, la détention perpétuelle.

Cependant, M. Lombroso convient lui-même que ce complexus ne se rencontre que 40 fois p. 100 chez les criminels avérés, et qu’il peut se rencontrer sur des sujets non criminels.

On peut remarquer tout d’abord que, pour que ces caractères destinés à séparer le criminel de l’homme sain aient une valeur vraiment scientifique, il faut admettre que l’homme normal est un être nettement défini, toujours semblable à lui-même comme un sel cristallisable. Il n’en est rien, pas plus au point de vue anatomique qu’au point de vue physiologique. D’autre part, et cette objection est moins puérile qu’elle peut le paraître, l’école anthropologique n’a considéré, et ne pouvait considérer comme malfaiteurs, qu’une certaine catégorie de malfaiteurs, ceux qui se sont laissé prendre ; or il n’est pas besoin de démontrer que les auteurs de bon nombre d’actes antisociaux échappent à la justice ; l’avortement et l’infanticide, par exemple, restent très fréquemment ignorés ; il en est de même des meilleurs vols[1]. La vertu ne se caractérise sur le vivant par aucun signe objectif spécifique ; aussi lorsqu’on compare, par exemple, un cerveau de criminel à un cerveau qu’on considère comme un type normal qui, je le répète, est purement hypothétique, nous ne sommes jamais sûrs que ce cerveau type n’appartenait pas à un autre criminel plus adroit ou plus favorisé par la chance.

M. Tarde[2] dit que la femme, qui se rapproche du sauvage et du criminel par un certain nombre de caractères anatomiques et physiologiques, montre pourtant une criminalité inférieure. M. Lombroso répond à cette objection en faisant remarquer que, si on ajoute la prostitution à la criminalité féminine, cette dernière atteint celle de l’homme. Il est assez difficile de décider si la prostitution, qui ne touche ni la propriété ni la vie d’autrui, doit rentrer dans la criminalité ordinaire, d’autant plus que, dans l’état actuel de notre civilisation, les rapports sexuels s’accomplissent de telle sorte que les limites de la prostitution sont fort indécises. Mais si on considère que la criminalité a en somme pour mobile principal le désir excessif de se procurer le plus de jouissance possible avec le moins de peine possible, et par conséquent aux dépens du travail d’autrui, on peut dire que la prostitution a la même origine que le crime ; prostituées

  1. M. Lombroso reconnaît que les délinquants de talent, comme Lacenaire, et en général les faussaires et les banqueroutiers, manquent de caractères physiques (Conclusions des rapporteurs du congrès d’anthropologie criminelle de Rome, 1885).
  2. La criminalité comparée, in-18, 1886.