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morbide. Cette circonstance a jeté des doutes sur le rôle de l’hérédité directe, et même sur la nature pathologique du crime. Ce qu’on ne croyait plus pouvoir expliquer par l’hérédité, on chercha à en rendre compte en faisant intervenir l’atavisme, le retour à des formes ancestrales. Sous l’influence de cette tendance, on a rapproché sans distinction le criminel de l’homme primitif, et on a cherché à établir des analogies morales existant entre les criminels des pays civilisés et les sauvages ou les hommes des âges antérieurs.

Mais l’analogie des caractères psychiques, déjà difficile à établir chez les criminels et les sauvages contemporains, devient tout à fait problématique lorsqu’il s’agit de l’homme primitif ; elle est insuffisante pour faire la preuve de la théorie atavique du crime. On a reconnu la nécessité de s’appuyer sur l’existence de caractères anatomiques qui se prêtent mieux à une comparaison rigoureuse.

Lavater et Gall avaient déjà cherché et cru trouver des caractères extérieurs capables de déceler les instincts ; mais leurs tentatives n’avaient pas donné de résultats suffisamment précis. Lélut avait bien fait l’essai d’un examen comparatif de la longueur et de la largeur du crâne chez les voleurs homicides. Voisin avait bien signalé la défectuosité de l’organisation cérébrale des criminels, etc. Mais c’est à M. Lombroso qu’appartient le mérite d’avoir accumulé une masse importante de documents, et d’avoir tenté, en se basant sur des caractères anatomiques et biologiques, la démonstration d’un type d’homme criminel, plus ou moins analogue à l’homme préhistorique ou au sauvage.

Nous avons vu précédemment qu’un certain nombre de faits physiologiques et psychologiques permettent de rapprocher le criminel de l’aliéné, et qu’en outre la criminalité est unie par des liens de famille très étroits à la folie et à la dégénérescence en général. Pour établir l’existence d’un type criminel, il faut montrer que les criminels diffèrent non seulement des hommes soi-disant sains, mais encore des aliénés, et en particulier des dégénérés de Morel, chez lesquels on observe plus souvent les folies morales ou instinctives qui ont le plus de connexion avec la criminalité. M. Lombroso a été bien forcé de reconnaître que le criminel-né de l’école anthropologique ne peut pas être distingué par des caractères précis des fous moraux et des épileptiques. Nous verrons tout à l’heure qu’il est certainement impossible dans l’état actuel, même en acceptant sans discussion les caractères du délinquant fournis par l’école d’anthropologie criminelle, de séparer le criminel des dégénérés.

Dans ces conditions, il est permis de se demander si la prétendue ressemblance d’un certain nombre de criminels avec les quelques