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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

c’est le cas des pièces apocryphes. Si on les reconnaît, ce n’est que par la maladresse du faussaire qui laisse d’ordinaire dans le document quelques caractères d’une époque postérieure à l’époque supposée. — L’autre procédé consiste à se représenter l’état d’esprit de l’auteur pour y retrouver les traces des circonstances où il vivait ; on admet qu’un homme parle de préférence du pays où il vit, des gens qu’il fréquente, des événements qui l’intéressent. On reconstitue de même l’époque de son œuvre en cherchant l’événement le plus récent dont il fasse mention et, parmi les événements qui ont suivi celui-là, l’événement le plus ancien qu’il aurait dû connaître et qui paraît lui être resté inconnu ; on admet que le document a été composé dans l’intervalle. La critique des sources s’est constituée par ces deux procédés ; on voit tout ce qu’elle a de conjectural.

Une opération spéciale est nécessaire quand on ne possède pas le document lui-même, c’est-à-dire le manuscrit de l’auteur ou un texte imprimé sous ses yeux, mais seulement une copie ; ce qui arrive pour presque toutes les œuvres antérieures à l’imprimerie. Cette opération est l’œuvre de la critique de textes ; elle a le même principe que les autres critiques. — À parler rigoureusement, une copie n’est pas un document direct ; elle est un manuscrit écrit par un homme qui a observé le document ; autant de copies successives, autant de séries différentes d’observations. Mais un copiste est un observateur placé dans les deux conditions favorables si rares en histoire : il a voulu observer l’original et n’a eu d’autre intérêt que de reproduire ce qu’il a vu. L’expérience nous apprend qu’une copie est très voisine de l’original, à moins que le copiste n’ait eu trop de peine à lire ou n’ait pas tenu à transcrire exactement (soit qu’il ait voulu se borner à une reproduction grossière, soit qu’il ait eu un motif d’interpoler ses idées ou d’altérer celles de l’auteur). Ces causes perturbatrices ont pu agir séparément sur chacun des éléments de la transcription, même sur chaque lettre ; tout élément (passage, phrase, mot, lettre) produit par une de ces causes est étranger au document original et doit être rejeté ; il se reconnaît à ce qu’il est en désaccord avec le reste du document. Plus l’élément est simple, plus le désaccord est manifeste, on reconnaît plus vite une faute de lettre ou de langue qu’une altération de sens.

La critique cherche à remonter de l’élément altéré par la copie à l’élément original. Si l’on ne possède qu’une seule copie, il ne reste qu’à comparer entre eux les éléments de la copie et à rejeter ceux qui sont en désaccord avec l’ensemble ; mais on ne peut les remplacer que par des conjectures. Si l’on a plusieurs copies, on cherche laquelle s’écarte le moins de l’original. La ressemblance dépend, non