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est moindre et la folie domine. » Ce n’est pas sur un caractère aussi vague que l’on peut établir une frontière entre la criminalité et la folie. M. Despine, après avoir traité de la maladie morale qui produit le crime, dit que le criminel n’est point un malade, qu’il ne faut point l’assimiler à un aliéné : il a conservé son intelligence, sa place n’est point dans un asile ; mais, en fin de compte, il en arrive à conclure qu’il faut le traiter dans un établissement pénitentiaire. « L’intelligence, dit-il, quelque grande qu’elle soit, n’atténue point l’atteinte portée à la raison et à la liberté chez le criminel par l’insensibilité morale ; elle ne détourne point cet homme du mal, bien loin de là. » Que faut-il de plus pour caractériser un sujet atteint d’insanité morale ? Dans l’état actuel de la science, il est tout aussi impossible de marquer une limite entre le crime et la folie que de donner une preuve objective de l’existence du libre arbitre. « Tout homme a en lui la virtualité de tous les actes vicieux, passionnés, criminels et même insensés qu’un individu puisse commettre » (Maudsley[1]). À vrai dire, il n’est pas plus facile de donner une caractéristique indiscutable de la santé psychique, qui ne se distingue guère que par exclusion.

Il résulte en somme de l’observation de leurs associations dans l’individu et dans les familles, que le vice, le crime et la folie ne sont séparés que par les préjugés sociaux ; ils se tiennent indissolublement par leur caractère commun de fatalité originelle ; on ne peut guère les étudier séparément.

M. Dally[2] a montré avec beaucoup de raison que les actes nuisibles des aliénés criminels et des criminels soi-disant sains d’esprit, ne diffèrent pas foncièrement par leurs caractères. Ferrus[3] avait indiqué antérieurement que l’absence de remords attribuée spécialement aux aliénés est fréquent chez les criminels.

Les grandes commotions sociales, en fournissant une occasion aux instincts criminels, peuvent dans une certaine mesure mettre en lumière des monstruosités psychiques héréditaires ou congénitales, et montrer pour ainsi dire expérimentalement la parenté du crime et de la folie : Lunier, Mundy, M. Laborde, ont cité un certain nombre d’insurgés qui avaient été traités comme aliénés ou avaient eu des aliénés dans leur famille.

Dans les cas de folie collective ou épidémique, il ne faut pas se laisser égarer par l’importance du fait qui, à première vue, semble

  1. Maudsley. Physiologie de l’esprit, trad. franç., p. 344.
  2. Dally. — Remarques sur les aliénés et les criminels au point de vue de la responsabilité morale et légale (Annales médico-psych., sept. 1863).
  3. Ferrus. — Des prisonniers, de l’emprisonnement et des prisons, 1849.