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mène actuel, d’une illusion, d’une hallucination, d’une anesthésie, d’une altération de la mémoire ou de la personnalité. La difficulté augmente lorsqu’il s’agit de faits anciens, et lorsqu’on allègue une amnésie ou un dédoublement de la personnalité[1], c’est souvent en s’appuyant sur des faits insuffisants pour entraîner la conviction des juges et du public. Le juge peut tenir compte des probabilités et des vraisemblances ; l’expert ne doit se prononcer que sur des faits matériellement prouvés.

Les magistrats se sont souvent appuyés sur les vices de l’expertise et sur la trop grande extension donnée à ses conclusions pour résister aux tendances médicales[2]. L’opinion publique, guidée plutôt par les sympathies que par la raison, hésite et se prononce tantôt pour le pardon, tantôt pour la vengeance. Le jury le plus souvent se laisse entraîner par l’argument pathologique.

III

Cet argument d’ailleurs a trouvé un appui considérable dans les études récentes sur l’hérédité morbide. Despine et Lombroso, par exemple, ont colligé quelques cas où plusieurs criminels s’étaient rencontrés dans la même famille. Outre que ces faits sont encore peu nombreux dans la science, on a pu leur adresser une critique : c’est que les enfants, laissés au contact de parents criminels, peuvent devenir criminels sous l’influence de la misère et des mauvais exemples[3]. Toutefois il faut remarquer que si parmi les enfants enfermés dans les colonies correctionnelles, il y en a environ 5 sur 8 qui soient nés de parents honnêtes, ce n’est pas un argument très fort contre l’hérédité. En effet, ce serait à grand tort qu’on voudrait limiter l’hérédité morbide à l’hérédité directe et similaire : en ce sens, l’épilepsie par exemple serait une maladie très rarement héréditaire ; tandis que si on considère dans les familles les associations de cette maladie avec la folie, les névroses, les dégénérescences, les vices de conformation, etc., on peut alors très fréquemment,

  1. Ann. med.-psych., 1887, t.  VI, p. 99.
  2. Le Code civil fait aux états morbides de l’intelligence une part plus large ´que le Code pénal : « Le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, de démence et de fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente des intervalles lucides (Cod. civ., art.  489). Et lorsqu’il s’agit de droit civil les légistes admettent plus volontiers l’altération générale de l’intelligence dans les folies dites partielles (Sacaze, De la folie considérée dans ses rapports avec la capacité légale, 1850).
  3. D’Haussonville, Le Combat contre le vice (Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1887, p. 514).