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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

partielle, une responsabilité proportionnelle à l’état mental du sujet (Legrand du Saulle)[1].

Je ferai remarquer en passant que cette innovation sortait des attributions du médecin qui peut être expert en pathologie et en clinique ; mais qui n’a point de compétence spéciale pour décider sur la question du libre arbitre, question de métaphysique pure et dont la solution ne pourrait servir de base à aucune déduction pratique. Quant au discernement du bien et du mal, c’est à tort qu’on l’a confondu[2], ainsi que la conscience de l’acte, avec le libre arbitre : Video meliora proboque, deteriora sequor, dit le poète.

Morel et Falret ont évité l’écueil. Reconnaissant qu’il n’existe pas, à proprement parler, de troubles partiels de l’intelligence qui ne peut être que saine ou malade, ils admettent que l’aliénation entraîne nécessairement l’irresponsabilité, mais ils ne répondent qu’à la question médicale : le sujet est fou ou ne l’est pas ; à la justice à faire application de l’avis. Griesinger fit de même.

Mais il s’en faut de beaucoup que cette pratique soit généralement adoptée. Il semble qu’un certain nombre de médecins aient pris à tâche non plus seulement d’éviter la peine à des malades avérés, mais encore d’arracher à la justice des criminels sans caractère morbide déterminé : on a vu des émotions passionnelles[3], « des impulsions éthiques » considérées comme des demi-folies entraînant des demi-responsabilités. Des opinions aussi étranges ont jeté un certain doute sur la compétence des experts, non seulement au point de vue de la soi-disant responsabilité morale, de l’imputabilité, mais même au point de vue de la question médicale.

Le rôle de l’expert ne consiste pas seulement à exprimer une impression personnelle, plus ou moins justifiée par sa pratique antérieure, il est nécessaire qu’il mette les faits en évidence par des caractères objectifs capables d’être saisis même par des hommes étrangers à la science ; c’est ainsi que procèdent les chimistes. En psychopathologie, les choses sont moins simples : il est souvent impossible de donner des preuves objectives de la réalité d’un phéno-

  1. Brierre de Boismont admet une forme particulière de responsabilité partielle sur laquelle dans les asiles on se base « pour punir les aliénés qui injurient, menacent, frappent, se livrent à des désordres, font des dégâts, sont nuisibles et dangereux (De la responsabilité légale des aliénés, Br. in-8o, 1863, p. 5 et 74).
  2. L. Pénard. — De la mesure du discernement en matière criminelle, 1880.
  3. A. Lyon (Responsabilité et paroxysme passionnel, th. de Montpellier, 1885) reconnaît qu’ « il n’existe pas de critérium scientifique pour distinguer, au point de vue de la responsabilité, l’acte d’un aliéné atteint de folie partielle de l’acte commis par un individu considéré comme sain d’esprit, sous l’influence d’une passion au paroxysme » ; mais il ne conclut ni à la responsabilité du fou, ni à l’irresponsabilité du passionné paroxystique.