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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

individualités incapables de s’accommoder des exigences de l’association, et de les contraindre à rentrer dans la règle. Au lieu de protéger les citoyens qui s’étaient associés pour diminuer leurs risques, ceux qui se sont emparés du pouvoir, sous prétexte de se charger de la fonction de protection, appartenant primitivement à tous, se bornent à punir ceux qui contreviennent à leurs lois, inspirées plus souvent plutôt par la superstition et la fantaisie que par l’utilité générale. Les droits des assurés qui continuent à payer les frais de la protection, et la morale naturelle, c’est-à-dire l’intérêt du plus grand nombre, se trouvent enfin sacrifiés à l’intérêt de la classe qui gouverne et à une morale artificielle qui ne veut tenir aucun compte de l’utile et du nuisible dans l’appréciation du bien et du mal.

Les idées d’immatérialité de l’âme, de liberté, de responsabilité morale, étaient venues atténuer pour quelques-unes et aggraver pour d’autres la sévérité des peines, mais sans atteindre le droit de punir qui s’appuyait soit sur le droit de légitime défense, soit sur une délégation mystique de la divinité, soit sur la nécessité de guérir les criminels assimilés aux malades, soit sur un prétendu droit de rétribution du mal par le mal, etc.

La nécessité de la peine qui n’était plus une indemnité envers l’associé ou l’association lésés, mais une vengeance d’une divinité offensée, et qui, si elle n’était cruelle et tout à fait injuste, était au moins souvent disproportionnée au dommage dont la réparation était fréquemment négligée, avait détourné l’attention publique des victimes du délit ou du crime, pour l’attirer sur les victimes de la justice devenues un objet de pitié d’autant plus intense que, suivant l’époque ou les circonstances, les citoyens ont eu plus à craindre des peines imméritées.

C’est à ce sentiment de pitié qu’il faut attribuer les différentes tentatives qui ont été faites soit pour exonérer des peines un certain nombre d’auteurs reconnus de crimes ou délits, soit pour l’abolition des peines en général, ou de certaines peines en particulier. Ces tentatives ont donné lieu à des études plus ou moins scientifiques, entreprises dans des directions différentes, et qui se proposaient plus ou moins directement d’élucider la nature du crime.

II

Sous le couvert de l’irresponsabilité morale, les Romains avaient déjà exonéré des peines un certain nombre de malades ; et cette