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non d’après la nature même de l’excitation, mais d’après l’élaboration intellectuelle de cette excitation. En elle-même, l’excitation n’est rien, ou à peu près rien. Ce qui lui donne une importance, c’est le travail de l’esprit sur cette excitation, par elle-même insignifiante.

Un gymnaste, dans un cirque, fait des exercices de trapèze. S’il vient à choir, aussitôt 200, 300 personnes parmi les spectateurs auront un battement de cœur soudain, irrésistible, tout à fait réflexe. Pourtant l’excitation visuelle qui a été la cause de ce réflexe n’est rien moins qu’une excitation qui accélère les mouvements du cœur ; il faut que l’excitation visuelle ait été par l’intelligence transformée, étudiée, comprise. Il y a toute une série de faits, de souvenirs, de connaissances, qui interviennent. Chez un être inintelligent, rien de semblable n’aurait eu lieu.

On pourrait citer quantité d’exemples de ces actions réflexes psychiques. Elles ont toutes le même caractère : indifférence de l’excitation en elle-même, qui est transformée par l’élaboration intellectuelle en une excitation efficace.

Ce qui est difficile, ce n’est pas tant de les différencier des actes réflexes simples que de saisir la transition entre elles et les actes psychiques dits spontanés. Ici on est forcé de faire intervenir un élément nouveau, c’est le temps. Une action réflexe simple ou psychique doit, pour être réflexe, succéder immédiatement à l’excitation. Un acte qui succède à une excitation après un intervalle de plus d’une minute n’est déjà plus un réflexe. L’espace de temps qui s’est écoulé a permis une certaine délibération, une certaine élaboration plus ou moins consciente, et qui paraît alors effectuée par la volonté. Assurément il se fait aussi dans un réflexe psychique une certaine élaboration ; mais celle-ci est instantanée, fatale, irrésistible, tandis que dans l’acte psychique dit spontané cette élaboration est lente, successive, mûrie et balancée. Peut-être les actes psychiques ont-ils autant de fatalité que les réflexes ; mais cette fatalité n’est pas aussi apparente, elle semble masquée par la conscience, qui assiste à une plus ou moins longue délibération, alors que pour l’acte réflexe psychique la soudaineté de la réponse semble exclure toute apparence de discussion.

Comme les autres réflexes, les réflexes psychiques peuvent être tantôt conscients, tantôt inconscients. Ainsi la rougeur ou la pâleur qui accompagnent une émotion morale peuvent être tantôt connues, tantôt inconnues de celui qui les subit.

Je ne crois pas devoir entrer ici dans de plus longs développements. Dans mon Essai de psychologie générale, je n’ai fait aussi qu’effleurer la question. J’espère prochainement la traiter avec les détails qu’elle comporte. Il me suffira aujourd’hui d’avoir insisté sur cette classe particulière d’actions réflexes, qui servent à mieux comprendre des actions plus compliquées.

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Le Propriétaire-Gérant, Félix Alcan.

Coulommiers. Typ. Paul Brodard et Gallois.