Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
revue philosophique

hommes qui avaient l’esprit occupé d’autres idées et qui ont observé sans le vouloir ; les affirmations proviennent de gens qui ont écrit avec un but pratique autre que de faire connaître la vérité. Voilà pourquoi elles donnent des conclusions douteuses. — Il y a des degrés pourtant dans l’incertitude. Une observation même mal faite contient des faits exacts : ce sont ceux qui s’imposent à l’observation, parce qu’ils sont très simples, très étendus, très durables ; il est facile de les voir, difficile de s’y tromper. Une affirmation même mensongère contient des croyances sincères ; ce sont celles qui s’imposent à l’affirmation, parce que le narrateur n’a aucun motif de les dissimuler ou qu’il les exprime sans même s’en apercevoir. Je donnerai comme exemples l’existence d’une ville, d’un homme, d’un usage. De tels faits n’avaient aucun intérêt pour l’auteur ni pour ses contemporains ; ils n’en sont que plus précieux pour nous : l’indifférence ou l’inconscience de l’auteur nous garantit sa sincérité, la grossièreté des faits nous en garantit l’exactitude. Un historien prudent recueillera de préférence les faits très grossiers que l’auteur n’a pu s’empêcher de constater, et les faits très indifférents que l’auteur n’a eu aucune raison d’altérer.

Il ne suffit pas d’établir une proposition, il faut pouvoir la localiser en établissant la provenance des documents d’où on l’a tirée. Cette provenance est un fait extérieur qu’on ne peut atteindre que par les procédés historiques. Il faut, pour établir la date, le pays, l’auteur, et chaque circonstance de la vie de l’auteur, le même travail que pour établir toute autre proposition historique ; le travail est facile d’ordinaire, parce qu’on recherche des faits faciles à constater ; le principal obstacle est dans les affirmations mensongères.

Il arrive qu’on ne trouve pas de renseignements suffisants sur la provenance d’un document ; on en cherche alors dans l’étude du document lui-même. — Le premier procédé est de chercher des analogies entre les diverses manifestations du document et d’autres manifestations qu’on peut localiser. On parcourt ainsi toutes les données du document (procédés d’exécution, écriture, langue, conceptions, croyances, etc.), et on cherche des faits de provenance connue qui leur soient analogues. On admet que des documents semblables sont l’œuvre d’un même temps, d’un même pays, d’une même classe d’hommes ou d’un même auteur, par cette raison que des conditions analogues produisent des faits analogues. Ce procédé donne une probabilité seulement, et la certitude sur un point : Un document qui porte les caractères d’un temps ne peut être antérieur à ce temps. Mais il peut être postérieur, car une forme ancienne peut être reproduite par imitation ; le document est alors plus récent qu’il ne paraît :