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suivies d’ordinaire pour l’enseignement du calcul différentiel et intégral ; mais, quoi qu’il en dise, le système qu’il propose n’offre rien de nouveau ; c’est au fond celui d’Arbogast, plus connu sous le nom de Lagrange. Il n’ignore pourtant pas, semble-t-il, pourquoi ce système a été condamné comme faisant, sur la nature des fonctions, une hypothèse trop restreinte et difficilement justifiable ; il se contente de déclarer qu’il est inutile de s’occuper des fonctions qui ne se prêtent pas à cette hypothèse. C’est rayer d’un trait de plume tout ce qui s’est fait depuis soixante ans ; Simplicio lui-même n’aurait pas osé davantage.

Un peu plus loin, notre auteur montre un peu plus d’originalité dans l’invention de ce qu’il appelle fonctions neutrales et fonctions unigènes ; cependant il n’arrive point à exposer ses propres idées avec une netteté suffisante. Décidément son talent n’est pas là.

Quant à sa polémique avec MM. Beltrami et Casorati, pour ce qui concerne les mathématiques, elle roule principalement sur la théorie des maxima et minima et sur le calcul des variations.

M. Barbera veut refaire la première qui conduit, dit-il, au résultat absurde de donner des minima plus grands que des maxima. En fait, la théorie usuelle est calculée sur la convention, certainement arbitraire, mais en tout cas légitime, de regarder les quantités négatives comme plus petites que les positives et comme d’autant plus petites entre elles que leur valeur absolue est plus élevée ; cette convention est d’ailleurs la seule qui puisse se concilier avec la vérité de sens commun qu’une question de maximum et de minimum ne peut être modifiée par l’addition d’une quantité constante à la quantité variable dont on cherche le maximum. M. Barbera prétend au contraire ne considérer que les valeurs absolues ; c’est son droit strict ; mais le plus singulier, c’est qu’il affecte d’ignorer la, convention et de ne pas même soupçonner que quelqu’un ait jamais pu en avoir l’idée.

Pour le calcul des variations qu’il prétend aussi réformer de fond en comble, j’avoue que j’ai plus de peine à me rendre compte de l’objection qu’il élève contre la théorie de Lagrange. Il propose comme problème de trouver la forme d’une fonction qui rende maximum une certaine quantité ; or, eu égard aux conventions, cette quantité n’est susceptible ni de maximum ni de minimum ; l’équation à laquelle arrive M. Barbera prend dès lors une forme impossible, résultat dans lequel il voit une preuve de l’absurdité de la méthode suivie. Mais l’étonnant serait que l’équation, dans un pareil cas, ne prît pas précisément cette forme impossible.

M. Barbera prétend que M. Beltrami aurait défendu la méthode de Lagrange en disant que le résultat était une exception ; notre novateur triomphe facilement en déclarant qu’en mathématiques il ne doit pas y avoir d’exceptions. Il ne peut y avoir là-dessous qu’un malentendu ; le résultat impossible est simplement ce qu’il doit être, puisque le problème est impossible.

Paul Tannery.