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ANALYSES.lesueur. Sonnets philosophiques.

si bien là la vraie cause du ralentissement de la production humaine que, partout où l’organisation de la famille reste forte et solide encore en dépit des secousses du siècle, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, la population continue à grandir. Mais il est impossible que, là comme chez nous, la désagrégation domestique ne se fasse pas sentir avant peu ; et déjà elle commence. Car ce n’est pas seulement, comme on l’a dit, la contagion des « idées d’insubordination » qui dissout les foyers ; c’est la propagation des innovations quelconques de notre âge inventif. L’inventivité prodigieuse de notre âge, source de cette propagation, a eu cet effet de substituer partout le prestige et l’imitation des novateurs étrangers au prestige et à l’imitation des pères, et de rendre les contemporains de plus en plus liés et semblables entre eux, de plus en plus détachés et différents de leurs prédécesseurs paternels. Contre une telle déviation grandiose et accélérée du courant des exemples, due au génie même et au progrès des temps nouveaux, que pourrait une réforme de la législation ? Peu de chose. Sans doute il est inique, il est criant de mettre le père de famille qui représente dix ou douze têtes sur le même pied électoral que le célibataire à peine majeur, et le corps politique devrait être avant tout, comme il l’a été en tout pays prospère et durable, une collection de chefs de maisons ; sans doute l’assistance des pères par les enfants, l’obéissance des enfants au père, sont mal réglées par nos lois. Mais on aura beau faire ici, on se heurtera toujours à l’obstacle des mœurs nouvelles qui ont leur raison d’être dans l’afflux quotidien des renouvellements sociaux. Il faut attendre que cette marée, en somme bienfaisante, ait atteint son sommet ; alors, inévitablement, à moins que l’Europe ne doive être submergée par une invasion chinoise, l’empire de la coutume, consolidant les résultats de la mode consommée (je demande pardon de me répéter si souvent sur ce point), reprendra sa force prépondérante et restaurera des foyers féconds. Jusque-là, il n’y a pas à s’y tromper, la population dépendra des péripéties de la lutte sourde engagée entre ces deux genres d’astuces, les fraudes conjugales et les ruses de la nature. Or, callida est natura, avait dit l’Imitation avant Schopenhauer. Mais je crois que l’homme et la femme réunis finiront par être plus fins encore.

G. Tarde.

Daniel Lesueur.Sonnets philosophiques. Lemerre, 1886.

Les pièces à Octave et les Sonnets philosophiques de Mlle Jeanne Loiseau (le pseudonyme masculin ne lui est pas favorable) eussent gagné, je crois, à être présentés plus simplement, et le poète eût été bien inspiré de réduire à une dizaine de pages le récit médiocre qui les précède. Son Octave n’est pas vivant, l’inconnue de ce héros ne sort pas du nuage. L’attention est déjà refroidie, quand on arrive aux sonnets, et ils ne la réchauffent pas complètement. Les vers, malgré certaines duretés choquantes, valent pourtant mieux que la prose et il est juste d’en citer quelques-uns.