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ANALYSES.nadaillac. tallqvist. Statistiques de la natalité.

depuis quelques années (voy. l’ouvrage de M. de Foville sur le morcellement), cette réaction se produit chez nous, bien que notre population diminue de plus en plus. S’il en est ainsi, le poids des impôts ne joue non plus aucun rôle ici, car il n’a point jusqu’à ces derniers temps empêché le pays de s’enrichir, et l’on a vu des peuples tout autrement pressurés pulluler à l’excès. Le fléau de l’alcoolisme a été singulièrement exagéré, si j’en crois M. Fournier du Flaix et M. Colajanni[1]. L’émigration des campagnes vers les centres industriels n’empêche pas la Belgique d’être l’un des peuples les plus prolifiques du monde, ainsi que l’Angleterre. Et si l’école, si la caserne exercent une action préventive, comme nous allons l’indiquer bientôt, ce n’est pas celle que M. de Nadaillac paraît avoir en vue. Certes, si les époux réfléchissaient, ils se feraient scrupule de mettre au monde des êtres innocents voués pour dix ans, jusqu’à leur mort peut-être, au régime scolaire, à ce laminoir torturant, à cette journée de l’écolier que les hommes faits imposent à leurs enfants, mais en comparaison de laquelle la journée de l’ouvrier, même de l’ouvrier mineur, cause de tant de grèves et de révolutions, est une partie de plaisir et une exercice hygiénique ! Mais les époux, en pensant à l’enfant à naître, ne songent qu’à eux, de même que plus tard, s’oubliant eux-mêmes, ils ne songent qu’à l’enfant né.

Une raison plus grave est donnée par M. Guyau qui, dans ses belles méditations poétiques, philosophiques… et religieuses, intitulées l’Irréligion de l’avenir, a touché notre sujet avec sa largeur et sa pénétration habituelles. Il n’en coûte pas à ce libre penseur fervent de reconnaître que, jusqu’ici, la force des croyances religieuses a seule pu lutter avec efficacité contre les influences économiques ou autres contraires au multiplicamini biblique. « Dans le département d’Ille-et-Vilaine, dit-il, les hommes ne contractent mariage, en moyenne, qu’à l’âge de trente-quatre ans, les femmes à vingt-neuf ans. Le mariage plus tardif dure conséquemment moins en Bretagne qu’en Normandie : il est en moyenne de vingt-sept ans et demi dans cette dernière province et de vingt et un ans en Bretagne ; néanmoins la fécondité de la femme bretonne est, par rapport à celle de la femme normande, presque comme 100 est à 60. En Bretagne, le résultat de l’esprit religieux et de la prévoyance avant le mariage est un accroissement constant de la population ; en Normandie, l’effet de l’esprit d’incrédulité et de la prévoyance après le mariage est une diminution constante de la population, plus vigoureuse pourtant. » Mais il convient d’ajouter avec M. Guyau que la religion elle-même commence à fléchir dans sa résistance au courant dépopulateur, et que, sur ce point délicat, même dans les familles les plus orthodoxes, « il est avec le ciel des accommodements ». J’irai plus loin. Le scepticisme croissant pourrait offrir à cet égard, si l’on était logique ou plutôt si d’autres causes n’intervenaient pas, des ressources que cessera bientôt de fournir la foi déclinante. Pour le fidèle, qui croit fermement à la vie future, qu’est-ce

  1. Voy. l’Alcoolisme, ar le Dr Napoléon Colajanni (Catania), très intéressante brochure, dont nous aurons occasion de parler.