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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

semblable à d’autres conclusions connues, parce qu’elles ne nous obligent à aucun effort nouveau.

Cette disposition peut se justifier logiquement. Les idées le plus fortement établies dans l’esprit sont d’ordinaire celles qui résultent du plus grand nombre d’expériences ; elles ont donc plus de chance d’être conformes à la vérité. Il est légitime d’accepter des lois déjà établies, de croire à des phénomènes anciens semblables aux phénomènes connus, d’avoir confiance dans des conclusions souvent répétées.

L’histoire approche d’autant plus de la certitude que ces deux raisonnements peuvent être faits avec plus de rigueur. Or, à mesure qu’on s’éloigne du point de départ matériel, les inductions deviennent plus douteuses, les analogies plus faibles et plus difficiles à constater, les concordances plus rares. Chaque espèce de recherche historique occupe ainsi, dans l’ordre de la certitude, le même rang que dans la série des opérations. Voici la série par ordre de certitude décroissante l’archéologie, étude des objets et des procédés matériels ; — la paléographie, étude de l’écriture ; — la phonétique, étude des formes du langage ; — la grammaire, étude de la langue comme instrument de la pensée ; — l’histoire artistique, étude des conceptions ; — l’histoire des religions et des doctrines, étude des croyances ; — l’histoire du droit et des institutions ; — au dernier rang l’histoire des événements. — Toutes les études qui ne remontent pas au delà de la conception donnent des résultats assurés ; elles portent sur des phénomènes psychologiques simples et qui laissent des traces précises. L’incertitude commence dès qu’il faut traverser des croyances et des impressions ; d’ordinaire il s’agit au moins de passer d’une affirmation à une croyance et d’une observation à un fait ; il faudrait donc que l’observation fût exacte et l’affirmation sincère. L’observation est exacte quand l’observateur est tout entier à l’observation et écarte de son esprit toute autre pensée ; elle a besoin d’être préparée ; le bon observateur est celui qui veut observer. L’affirmation est sincère quand le narrateur parle pour communiquer ce qu’il croit sans vouloir produire aucun autre effet ; elle doit être désintéressée ; le narrateur fidèle est celui qui veut seulement exprimer sa croyance. On peut se fier à un observateur qui ne pense qu’à observer, à un narrateur qui n’a d’autre motif d’affirmer que le désir de dire la vérité, parce qu’il est indifférent aux conséquences de son affirmation. Ces deux conditions sont réunies dans les observations scientifiques : le savant tient à observer la vérité et n’a aucune raison d’affirmer un mensonge. Les documents historiques réunissent d’ordinaire les deux conditions inverses : les observations ont été faites par des