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ANALYSES.manouvrier. Quantité et poids du cerveau.

âme matérielle qui n’est pas isolable en vertu de ses nombreuses connexions anatomiques, et qui ne s’est pas formée d’un seul jet ; elle résulte au contraire d’une « évolution lente et pénible et n’est transmise par hérédité qu’en partie seulement et seulement à l’état embryonnaire. Elle est exposée à toutes les éventualités organiques : arrêts de développement, atrophie, etc., mais, comme l’âme immatérielle des spiritualistes, elle peut être animée de sentiments et de passions plus ou moins indépendants de l’organisme, aux besoins, aux désirs duquel elle peut même être opposée. Cela provient de ce que la vue et l’ouïe, sous l’influence de l’éducation artificielle, servent à acquérir des idées qui arrivent à enrayer à ce point les impulsions organiques qu’aux instincts organiques égoïstes peuvent être substitués des besoins cérébraux altruistes. Cet appareil pensant jouit donc bien de tous les attributs psychologiques de cette entité imaginée par l’ancienne philosophie sous le nom d’âme. Les éléments moteurs, les éléments psychiques du cerveau, s’ils diffèrent entre eux, n’en forment pas moins un tout bien uni, bien indissociable, et leurs manifestations ne sont, en réalité, que les deux faces de la même fonction, ce qui n’est nullement contraire à la théorie des localisations cérébrales. Nous ne saurions trop insister sur l’utilité des notions renfermées dans ce chapitre pour les études psychologiques proprement dites.

Le quatrième chapitre, consacré à l’interprétation du poids absolu de l’encéphale, est certainement un des plus curieux et des plus instructifs de ce mémoire, et si tout ce qu’il contient n’intéresse pas au même titre la psychologie, les parties même les plus anatomiques, les plus anthropologiques sur tout ce qui a trait à la supériorité intellectuelle pourront toujours être consultées avec fruit.

Instructive en effet à bien des points de vue est l’étude de la capacité crânienne et de ses variations ethniques.

Les Polynésiens avec leurs vastes capacités, leur moyenne supérieure de 27 centimètres cubes à celle des Parisiens seraient bien faits pour nous causer un profond étonnement si M. Manouvrier ne venait nous démontrer que ce n’est pas à une supériorité intellectuelle, mais seulement à leur haute stature qu’ils doivent cet avantage ; et la preuve en est fournie par le tableau qui vient après où l’on voit les Bengalis, population pauvre et déshéritée de l’Hindoustan, devoir à leur petite taille de n’avoir qu’une capacité crânienne de 1362 centimètres cubes, quand celle des Parisiens est de 1560 centimètres cubes et celle des Polynėsiens de 1587. C’est aussi en vertu de sa petite taille, et par taille M. Manouvrier entend, non seulement la longueur, mais l’ensemble de la masse active du corps, que la femme possède une capacité plus faible que celle de l’homme : 1391 centimètres cubes chez les Parisiennes modernes. L’auteur expose les raisons pour lesquelles cette moindre capacité n’indique pas une infériorité intellectuelle, mais seulement ce fait qu’à une masse organique moindre correspond une masse encéphalique d’un plus petit volume.