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tout genre ou du moins sache se les procurer ; il a besoin d’une aptitude à tout comprendre. En ce sens M. Thiers a pu dire que la qualité dominante de l’historien est l’intelligence, — non l’intelligence profonde qui remonte aux causes des faits, mais l’intelligence étendue et superficielle qui permet de s’assimiler les découvertes faites par d’autres. L’histoire emprunte à la technique la connaissance des procédés matériels ; à la paléographie et à la linguistique la connaissance des signes ; à la psychologie la connaissance des opérations de l’esprit ; à toutes les sciences quelques données sur les faits matériels et sur les conditions de la vraisemblance. Les connaissances sur le monde matériel ne trouvent d’emploi qu’aux deux extrémités de la chaîne : au point où l’on examine la forme matérielle du document pour remonter au procédé qui l’a produit, et au point où l’on recherche les faits qui ont agi sur l’esprit de l’auteur. La longue chaîne d’opérations qui relie ces deux points extrêmes reste en entier dans le monde de l’esprit ; aussi presque toutes les inductions historiques sont-elles des lois psychologiques. L’histoire est surtout une application de la psychologie.

Toute conclusion d’un raisonnement historique reste douteuse, parce que la loi n’est jamais absolue et l’analogie jamais parfaite ni parfaitement constatée. On attribue la manifestation ancienne à une cause précise, sans pouvoir être certain qu’elle n’est pas l’œuvre d’une autre cause. Comme on n’atteint pas directement la cause de la manifestation, on ne pourrait l’affirmer sûrement que si elle était la seule cause concevable ; mais les phénomènes humains sont trop complexes pour qu’une manifestation ne puisse avoir qu’une seule cause ; la conclusion n’atteint donc que la cause la plus probable. Ici intervient le raisonnement par concordance. Il consiste à rapprocher plusieurs conclusions probables seulement, qui aboutissent toutes à la même proposition. Chacune est exposée à cette chance d’erreur que la manifestation ait été produite non par la cause la plus probable, mais par une cause moins probable ; on peut être tombé sur un cas exceptionnel. La concordance de plusieurs cas au contraire ne s’explique que par la cause la plus probable : un cas souvent renouvelé ne peut être une exception. La concordance élimine la chance d’un accident et fortifie, sinon chaque conclusion, du moins les éléments communs à toutes.

Le mécanisme psychologique de ces deux raisonnements repose sur la répétition, qui est une forme de la loi du moindre effort. Une idée est probable, c’est-à-dire facilement admise, quand elle ressemble aux idées auxquelles l’esprit est habitué. Nous admettons sans peine une cause analogue à des causes déjà admises, et une conclusion