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ANALYSES.p. janet. Science politique et morale.

sommes les plus forts et leur évidence ne nous apparaît que lorsque nous nous sentons les plus faibles. Dans ces dernières années, c’est à droite qu’ils ont été l’objet des revendications les plus bruyantes et c’est à gauche qu’on les traite parfois de « guitares » et qu’on ne craint pas de leur opposer les maximes de l’ancienne France.

L’intérêt et la passion sont pour beaucoup dans ces contradictions ; mais, pour la philosophie politique, il y a une leçon à tirer des discussions que les déclarations de droits ont suscitées dans notre siècle. Cette leçon, nous l’emprunterons encore à M. Janet.

En premier lieu, nul principe de droit n’est absolu et immuable, sinon dans son fond, du moins dans sa consécration légale et dans la formule dont il a besoin de se revêtir. L’erreur de l’ancienne philosophie était de croire, pour la raison, à des conquêtes absolument définitives. Le droit naturel, après comme avant la déclaration de 1791, n’a pas cessé d’appeler la controverse. On est moins que jamais d’accord sur sa nature et sur ses bases philosophiques. C’est à tort, en effet, qu’on y verrait le domaine exclusif de l’école spiritualiste et métaphysique. Si l’école positiviste de nos jours lui est peu favorable, la philosophie du xviiie siècle, qui lui a fait une si grande place, professait peu de goût pour la métaphysique et se réclamait presque tout entière de la méthode expérimentale. On s’entend plus aisément sur les différents droits, mais à condition de ne pas vouloir trop de précision, car aucun n’a pu recevoir une définition à l’abri de toute critique. Enfin, la liste des droits a, de temps en temps, besoin d’être remaniée, soit pour des suppressions, soit pour des additions. L’esclavage était considéré encore, il y a deux cents ans, comme de droit naturel, et, jusqu’à la fin du xviiie siècle, il est loin d’être unanimement condamné dans son principe. Il est même l’objet de singuliers ménagements dans les déclarations américaines. La déclaration de 1791 semble ignorer la liberté d’enseignement, qui devait trouver place dans les déclarations de 1830 et de 1848[1].

En second lieu, les droits les mieux reconnus ne sont pas indifféremment un « article d’exportation. » Les peuples, observe très finement M. Janet, sont comme les individus. Ils ont leur enfance et leur âge de majorité, et ce dernier seul comporte la jouissance de certains droits, dans l’ordre civil lui-même, à plus forte raison dans l’ordre politique. Toute la différence est que la majorité ne peut pas être fixée pour les peuples comme pour les individus. Le despotisme ne croit jamais qu’elle soit près de commencer ; les révolutionnaires ne craignent jamais de la

    trouble, sortir du cerveau enfiévré des révolutionnaires. » Or, dans toute la suite de l’ouvrage, ce sont ces « prodiges de sottise » qui sont opposés aux abus de l’ancienne justice et de la justice actuelle.

  1. Il n’est pas exact cependant que la liberté d’enseignement fût entièrement méconnue à l’époque de la Révolution. Elle est affirmée très nettement par Mirabeau et par Talleyrand, et elle a tenu une assez grande place dans les discussions de la Convention.