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ANALYSES.p. janet. Science politique et morale.

nale et la plus considérable, on me permettra de la résumer et de l’apprécier avec quelque développement.

On a voulu voir, dans la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, un pur produit de notre race et de la culture classique et rationaliste qu’elle s’était donnée dans les deux derniers siècles. M. Janet rappelle que cette culture était celle de toute l’Europe, qu’elle appartenait à toutes les races civilisées et que, pour se renfermer dans les questions de droit naturel, si les théories dont s’est inspirée l’Assemblée constituante sont celles de Rousseau, Français par la race et par la langue sinon par la nationalité, ce sont aussi, sans excepter l’hypothèse du Contrat social, celles du Hollandais Grotius, de l’Allemand Pufendorf et de l’Anglais Locke. Il rappelle également que la déclaration française n’a été que la copie des déclarations américaines, c’est-à-dire d’actes accomplis dans le nouveau monde, sous l’inspiration des mêmes principes, par des hommes de race anglo-saxonne. Ces déclarations ne se bornent pas, en effet, aux dix amendements qui forment l’annexe de la constitution des États-Unis et qui ont moins pour objet les droits généraux de l’homme et du citoyen que les rapports particuliers du pouvoir fédéral et des divers États dans la confédération américaine. Outre ces amendements dont on peut contester le caractère philosophique, il y a la déclaration d’indépendance votée en 1774 par le congrès de Philadelphie, il y a les déclarations qui font partie intégrante des constitutions de la plupart des États. Dans tous ces actes, il est hautement affirmé que tous les hommes naissent en possession de certains droits, qui échappent, par leur nature, aux stipulations arbitraires du « pacte social » (le terme y est presque partout expressément), et ces droits « inaliénables » sont ceux-là mêmes que la France devait proclamer à son tour quelques années plus tard la vie, la liberté, la propriété, la souveraineté nationale, la résistance à l’oppression. Il s’y mêle, il est vrai, l’énonciation d’autres droits qui sont comme le patrimoine de la race anglo-saxonne, par exemple le jugement par jury, mais ces droits eux-mêmes sont invoqués au nom de leur valeur rationnelle, non de leur origine historique.

J’ajoute, et M. Janet aurait pu insister davantage sur ce point, qu’en Angleterre même, si la constitution n’est pas précédée d’une déclaration philosophique, pour cette bonne raison qu’elle n’a jamais été écrite, les « droits de l’homme et du citoyen » n’y sont pas moins revendiqués, sous leur forme générale et abstraite, non seulement par les philosophes, mais par les hommes d’État et par la nation elle-même. Comment expliquer autrement la généreuse ardeur dont s’est tant de fois enflammée l’Angleterre pour des réformes sans précédent, sans base historique, sans relation avec le caractère propre de la race : l’abolition de l’esclavage, l’émancipation politique des catholiques et des juifs, l’affranchissement des peuples opprimés ? Comment expliquer son zèle pour propager dans le monde entier, sous tous les climats, parmi toutes les races, ses institutions politiques ? Des calculs intéressés ont pu se