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prochent plus ou moins certains somnambules et d’autres malades ; mais on ne saurait dire qu’il ait été jamais réalisé. « Je me sens autre, je suis tout changé, je ne me reconnais plus, je sens deux hommes en moi, je m’oublie, je me retrouve », toutes ces expressions, par lesquelles se formulent les altérations de la personnalité, indiquent, à côté d’une pluralité anormale dont les malades ont conscience, une unité psychique fondamentale dont ils n’ont pas moins conscience et qu’ils expriment uniformément par le mot je, appliqué à la totalité de leur existence. Faut-il faire une exception pour la somnambule du Dr Dufay, et dire qu’elle se sentait réellement double, puisqu’elle exprimait sa personnalité dédoublée par deux mots différents ? en condition première, elle disait je ; en condition seconde, elle parlait nègre, elle disait moi, et elle disait alors, en parlant de sa condition première : « quand moi est bête » (Azam, p. 189) ; elle aurait pu dire : « quand moi est bête, il dit je ». Mais on ne saurait soutenir qu’elle ignorait la synonymie des mots je et moi ; en distinguant ainsi ses deux personnalités, elle affirmait donc l’unité de sa personne ; seulement, entre les deux formes alternatives de son moi ou de son je, il y avait une nuance, qu’elle avait trouvé le moyen d’indiquer en employant je dans un cas, moi dans l’autre. Cette naïve expression de la double personnalité vaut toute une théorie. Quand je pense un nombre, je le pense nombre et je le pense un ; de même, toutes les fois que le malade a conscience d’être plusieurs, il a par là même conscience de son unité ; s’il compte ses moi, oserai-je dire, c’est qu’il n’en a qu’un. Une personne vraiment double se croirait simple à chaque moment de son existence, car elle ignorerait toujours celui de ses deux moi qui serait momentanément à l’état latent ; son entourage seul connaîtrait le dédoublement de sa vie ; c’est ce qui arrivait, dit-on, pour la dame américaine. Cette condition n’est malheureusement réalisée dans aucun autre cas parmi ceux auxquels on a appliqué trop légèrement les noms de double conscience et de dédoublement de la personnalité.

Victor Egger.

Paul Janet.Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale. Troisième édition, Alcan, 1887, vol.  in-8o.

M. Janet vient de donner une troisième édition, « revue, remaniée et considérablement augmentée », d’un ouvrage qui avait déjà subi trois transformations. C’était, dans l’origine, un mémoire, couronné par l’Académie des sciences morales et politiques en 1853, sur la question suivante : « Comparer la philosophie morale et politique de Platon et d’Aristote avec celle des publicistes modernes les plus célèbres. » L’auteur, lorsqu’il publia ce mémoire en 1859, l’avait entièrement remanié, sur un plan plus large, qui justifiait un titre plus général : Histoire de la