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ANALYSES.azam. Hypnotisme, etc.

nitivement, qu’elle fût accompagnée de sérieuses garanties d’authenticité ? Les jeûneurs s’entourent bien d’un comité médical ! Quel a été le comité médical de la dame américaine ? Il se composait purement et simplement du major Elliott, professeur à l’Académie militaire de West-Point. Cet officier a raconté l’histoire merveilleuse au Dr Mitchell, qui l’a publiée, de concert avec le Dr Nott, dans un journal américain, le Medical repository (janvier 1816). Enfin Mac-Nish, dans sa Philosophy of Sleep (1830), a tout simplement reproduit ou analysé le récit du Medical repository. Si Mitchell et Nott avaient publié l’observation comme faite ou contrôlée par eux-mêmes, nous pourrions nous demander si, en 1816, les États-Unis possédaient des médecins capables, comme aujourd’hui en France M. Azam, M. Mesnet, M. Charcot et ses élèves, de bien conduire une enquête aussi délicate. Mais il ne s’agit pas même d’un médecin ; la confiance que nous n’accorderions qu’en hésitant à un témoin compétent, le major américain ne peut vraiment pas nous l’inspirer. Nous concluons qu’il serait prudent de rayer provisoirement la dame de Mac-Nish du nombre des cas pathologiques intéressants pour la psychologie ; ses papiers ne sont pas en règle. Si un jour l’école de la Salpêtrière découvre et décrit avec sa rigueur habituelle un second cas du même genre, alors il sera permis d’exhumer de nouveau l’observation du major Elliott ; le nouveau cas pourra lui servir de garant. Dira-t-on que des preuves intrinsèques d’authenticité se trouvent peut-être dans le récit original ? Qu’on découvre alors dans quelque bibliothèque de l’ancien ou du nouveau monde le Medical repository de janvier 1816, que personne en Europe n’a vu depuis Mac-Nish, et qu’on nous en donne une traduction complète et fidèle ; la chose en vaut la peine.

Il serait temps vraiment de commencer à introduire dans les études psychologiques l’esprit de la critique historique ; sinon, une science qui prétend à juste titre s’appeler une science positive, et qui doit tendre, comme toutes les autres sciences, à la plus parfaite exactitude, restera encombrée d’anecdotes fabuleuses et souvent puériles. On a trop parlé (Lélut, Moreau de Tours, Despine) des extases et des hallucinations de Socrate, alors que l’examen des textes authentiques de Platon et de Xénophon suffit pour dissiper cette légende, qui remonte, il faut le reconnaître, à l’antiquité. Ne vient-on pas de démontrer en deux gros volumes que Gaspard Hauser était un imposteur[1] ? M. Taine ne soupçonnait pas cette solution quand il citait Gaspard Hauser à côté de l’aveugle de Cheselden comme un témoin précieux sur les données primitives de la sensation (L’intelligence, 2e partie, livre II, ch.  ii, §  5).

Si la dame américaine de Mac-Nish est un cas suspect, il faudra reconnaître que la double personnalité, que la double conscience, au sens rigoureux de ces mots, n’a jamais été scientifiquement observée. Le double moi dans un corps unique reste une sorte d’idéal, dont s’ap-

  1. Voir la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1887, article de G. Valbert.