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moire ; car la mémoire n’est pas, à proprement parler, une faculté de l’esprit parallèle à d’autres facultés ; elle n’est qu’une forme générale du sort que peut avoir tout élément de la vie de l’âme, et il est aussi difficile de la concevoir sans ces éléments que de concevoir l’existence d’un mouvement sans une direction et une vitesse déterminées. » (Principes généraux de psychologie physiologique, trad. Penjon, p. 101.)

2o M. Azam nous semble affaiblir à tort sa thèse fondamentale, à savoir que la condition première, ubi oblivio est, est l’état normal, lorsqu’il suppose (p. 120 et p. 218) que Félida terminera sa vie dans la condition seconde, qui, depuis bien des années, embrasse la presque totalité de son existence. S’il ne s’est pas trompé dans l’interprétation qu’il a donnée du cas de Félida, interprétation que personne après lui n’a contestée et qui se trouve confirmée aujourd’hui par l’observation de nouveaux cas analogues, si Félida est bien une somnambule hystérique, l’hypothèse contraire est infiniment plus vraisemblable. L’âge, qui, chez les femmes, guérit tant de névroses, guérira Félida du mal dont elle ne souffre pas, et le retour à la santé amènera chez elle de terribles souffrances morales, car avec son mal elle aura perdu le souvenir de la plus grande partie de sa vie ; elle commencera, pour ainsi dire, vers l’âge de cinquante ans, une existence nouvelle ; guérison purement théorique, qui, par ses effets pénibles, semblera condamner les définitions des médecins, mais qui, au point de vue de la science pure, sera l’éclatante confirmation de leurs théories. La somnambule du Dr Dufay, dont le cas est, de tous les cas analogues, le plus rapproché de celui de Félida, a été « débarrassée, avec l’âge, de sa personnalité anormale » (p. 191), c’est-à-dire des périodes de condition seconde ; elle termine sa vie, comme elle l’avait commencée, en condition première. En bonne logique, il n’y a pas lieu de prévoir que les choses se passeront autrement pour le sujet si bien étudié jusqu’à présent par M. Azam.

3o Le cas de double personnalité rapporté par Mac-Nish a été admis sans discussion par M. Taine, d’abord, qui le premier l’a introduit dans la littérature psychologique française (L’intelligence, 1re partie, livre II, ch.  ii, §  5), puis par M. Ribot (Maladies de la mémoire, p. 76 et suiv. ; Maladies de la personnalité, p. 81 et 147), puis, enfin, par M. Azam. Mais M. Azam a pu se procurer l’ouvrage, devenu très rare, de l’auteur anglais, et il nous donne (p. 270 et suiv.), avec la traduction des passages qui concernent la dame américaine, l’indication de la source à laquelle Mac-Nish avait puisé. Il y a là matière à réfléchir. N’oublions pas que ce cas est absolument unique en son genre ; deux seulement, dans l’ouvrage de M. Ribot, paraissent s’en rapprocher ; ce sont les cas rapportés par Sharpey et par Dunn (Maladies de la mémoire, p. 65 et suiv., 69 et suiv. ; Azam, p. 274-275) ; mais ce sont des cas d’amnésie temporaire et non périodique ; la littérature médicale européenne ne fournit donc rien d’analogue à l’observation qui figure dans l’ouvrage de Mac-Nish, et celle-ci ne se rattache ni à la diathèse hystérique ni aux phénomènes hypnotiques. Ne faudrait-il pas, pour l’admettre défi-