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ANALYSES.azam. Hypnotisme, etc.

d’être le premier à signaler l’importance. En 1859, M. Azam hypnotisa plusieurs fois Félida. « Dans ce somnambulisme provoqué, dit-il, et quel que soit son état au moment où elle a été endormie, elle est toujours dans l’état normal » (p. 76). Ainsi, dans l’état hypnotique elle ignorait sa condition seconde ; elle ne se souvenait que des événements de sa condition première, et sans doute aussi (bien que M. Azam ne le dise pas) des événements des périodes hypnotiques précédentes. Félida a donc présenté dans le cours de son existence deux conditions secondes, l’une naturelle, l’autre artificielle, parfaitement distinctes, le souvenir de chacune des deux étant exclu par l’apparition de l’autre. J’insiste sur ce phénomène ; car je n’ai rencontré dans aucune autre observation la mention de cette séparation du somnambulisme naturel et du somnambulisme artificiel ; au contraire, tous les auteurs considèrent ces deux états comme une seule et même condition mentale ; M. Mesnet et M. Motet, appelés comme experts devant les tribunaux, hypnotisent l’accusé pour lui rendre le souvenir des faits qu’il a accomplis en état de somnambulisme naturel. Félida fait-elle exception à une règle constante ? Telle est la question que nous nous permettons de poser aux médecins qui s’occupent journellement de ces sortes de phénomènes. On aimerait aussi à savoir si, chez les personnes sujettes à la fois à des accès de somnambulisme naturel nocturne et à des accès de somnambulisme naturel diurne, comme dans l’observation du Dr Dufay, les deux états constituent une seule et unique condition mentale ou deux conditions distinctes.

Quoi qu’il en soit, notre hypothèse peut résister à l’objection ; car ni l’hémisphère gauche dans l’état normal, ni l’hémisphère droit dans l’état anormal ne participent dans leur entier aux opérations intellectuelles ; certaines de leurs régions restent étrangères au fonctionnement de la pensée ; supposons donc que, pendant la condition seconde, un nouveau trouble de circulation associe momentanément une de ces régions au travail des deux autres ; une fois cette région abandonnée par l’activité psychique, le souvenir de tous les états de conscience auxquels elle a participé devient impossible.

Le cas de Félida ne me paraît fournir aucun argument en faveur d’une localisation de la mémoire dans l’hémisphère droit ; je ne saurais, sur ce point, partager l’opinion avancée par M. Azam (p. 182). Je me rallie au contraire à l’idée, qu’il exprime en dernier lieu (p. 207 et suiv.), de la dissémination de cette faculté dans la totalité de la portion active du cerveau. La mémoire est une faculté trop générale pour qu’elle puisse être logée dans une région spéciale et séparée ainsi des autres facultés dont elle est la condition et le support. J’imagine seulement que la mémoire, siégeant d’ordinaire avec les autres fonctions de l’âme dans l’hémisphère gauche du cerveau, peut être exceptionnellement transportée avec elles à l’hémisphère droit ou, pour mieux dire, aux deux hémisphères travaillant de concert. « Il est peu vraisemblable, dit avec raison Hermann Lotze, qu’il y ait un organe particulier de la mé-