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ANALYSES.azam. Hypnotisme, etc.

Quelle est la région du cerveau où s’élabore normalement la pensée ? À la suite de Broca, on a cru pouvoir étendre la théorie du langage monocérébral à toutes les opérations intellectuelles, et divers faits tendraient à confirmer cette hypothèse en prouvant que l’hémisphère droit l’emporte sur le gauche pour les fonctions trophiques et pour certaines fonctions motrices. Ainsi, les deux hémisphères auraient des fonctions distinctes, correspondant à leur asymétrie anatomique, et, normalement, le gauche serait seul, du moins dans certaines de ses parties, l’organe de la pensée. L’homme normal est donc gaucher du cerveau, et, en conséquence, droitier de la main ; c’est pourquoi une lésion cérébrale à gauche produit l’aphasie, tandis que la même lésion, survenant à droite, laisse la parole intacte. Les gauchers de la main sont droitiers du cerveau ; une lésion de l’hémisphère droit les rend aphasiques, tandis qu’ils gardent l’usage de la parole si elle survient à gauche.

D’après cette théorie, durant les périodes impaires, qui sont les périodes d’état normal, Félida pense et se souvient avec le cerveau gauche. L’état anormal survient tout à coup ; je suppose qu’alors le cerveau droit, sous l’influence d’un afflux sanguin, entre en activité ; désormais les deux hémisphères travaillent de concert et collaborent à la production des mêmes actes. La seconde vie continue la première, dont elle n’est qu’un développement, et le souvenir, dans cet état anormal, est complet, car rien n’empêche les phénomènes bicérébraux de susciter par association l’image des phénomènes monocérébraux des périodes normales antérieures.

Quand l’état normal reparaît, c’est-à-dire quand le cerveau droit cesse de fonctionner, le souvenir devient incomplet ; car, la trace des pensées étant là où elles ont été produites, chaque hémisphère ne contient, pour les pensées de l’état anormal, qu’une moitié de trace, laquelle n’est rien sans l’autre moitié ; l’activité cérébrale normale est impuissante à réveiller ces traces dans leur entier ; les traces bicérébrales des actes bicérébraux ne pourront être réveillées que par le retour d’une activité bicérébrale ; pour l’activité monocérébrale, elles sont comme si elles n’étaient pas.

Nous ne nous dissimulons pas ce que notre hypothèse a d’aventureux en l’absence de toute connaissance positive sur l’état du cerveau durant le somnambulisme. Mais elle a l’avantage de concorder avec les faits les plus importants du phénomène observé par M. Azam : elle rend compte, en style psycho-physiologique, de la nature spéciale de l’amnésie périodique ; — elle explique comment l’état où le souvenir est complet est en même temps l’état anormal, thèse étrange au premier abord, mais que M. Azam a démontrée, à ce qu’il semble, d’une manière irréfutable ; — enfin, l’activité anormale de l’hémisphère cérébral, qui d’ordinaire est inactif, concorde assez bien avec la surexcitation et la plénitude de vie remarquées durant la condition seconde,