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accès des somnambules ordinaires ; ils ont en même temps de l’anesthésie et de l’hyperesthésie, un état de demi-absence et des idées fixes ; cette perturbation des fonctions psychiques, qui fait que l’état somnambulique tient à la fois de l’état de veille normal et de l’état de sommeil, est assez naturelle, puisque le somnambulisme, sous forme la plus anciennement connue et la plus fréquente, n’est, comme son nom l’indique, qu’un rêve accompagné de locomotion, un rêve où l’imagination ordinaire du sommeil commande, par extraordinaire, aux muscles et les fait mouvoir à sa fantaisie.

Le cas cité dans la Philosophie du sommeil de Mac-Nish a été avec raison rapproché de celui de Félida ; mais, s’il présente des rapports avec le cas observé par M. Azam, il n’en a plus aucun avec le somnambulisme. Nous nous demanderons tout à l’heure si le fait doit être tenu pour authentique ; provisoirement, nous le supposons indiscutable. Il s’agit d’une dame dont l’existence était partagée, par de longs et profonds sommeils, en périodes ; les périodes paires n’admettaient que le souvenir des périodes paires, et réciproquement les périodes impaires n’admettaient que le souvenir des périodes impaires. Il en résultait pour cette personne la succession alternative dans un même corps de deux vies psychiques distinctes, de deux consciences séparées, de deux personnalités. C’est le seul cas auquel conviennent ces expressions ; elles sont inexactes pour le cas de Félida, et, a fortiori, pour tous ceux qui présentent avec évidence les symptômes du somnambulisme ordinaire.

Ces définitions psychologiques une fois posées, nous pouvons aborder le problème physiologique. Il consiste à trouver une formule qui exprime en termes de psycho-physiologie la loi de l’existence intérieure de Félida. La formule cherchée doit remplir deux conditions : 1o elle doit être d’accord avec les données actuelles de la physiologie cérébrale ou de la psycho-névrologie ; 2o la loi physiologique qu’elle exprimera devra suivre exactement la courbe de la loi psychologique ; car nous admettons en même temps que les deux ordres de faits, faits nerveux et faits psychiques, sont spécifiquement irréductibles, et qu’ils forment deux successions parallèles dont le rythme est identique : en cela consiste leur correspondance. Notre hypothèse nous paraît plausible en ce sens qu’elle satisfait aux deux conditions posées. La voici :

Je suppose d’abord que la trace des pensées se trouve là où les pensées ont été produites, — ensuite qu’une portion de trace est comme si elle n’était pas, la trace entière devant être revivifiée pour que la pensée renaisse sous forme de souvenir ; — enfin que, normalement, une région cérébrale limitée est le siège de l’idéation passive ou active, mais que, anormalement, sous l’influence d’un afflux sanguin ou de quelque autre cause, une région plus étendue du cerveau peut participer à cette fonction. On conçoit dès lors que, si l’état normal reparaît, toutes les pensées, toutes les sensations, tous les états de conscience de l’état anormal seront fatalement oubliés.