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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

Je ne me propose nullement d’étudier quelle a pu être, au point de vue scientifique, la valeur de ses travaux dans ce domaine. Ils appartiennent en fait à l’histoire des origines de la médecine grecque. Je voudrais seulement insister sur ce point que, si la doctrine des quatre éléments a triomphé dans l’antiquité, c’est évidemment grâce à l’accueil favorable qu’elle a reçu dans les écoles médicales ; elle se prêtait beaucoup mieux, soit que les doctrines monistes ioniennes, soit que les hypothèses vraiment scientifiques au fond, mais trop vagues comme forme, des homéoméries ou des atomes, aux tentatives de coordinations théoriques dont l’art d’Esculape commençait à sentir le besoin. Elle s’y combina, dans la doctrine des tempéraments, avec les oppositions du chaud et du froid, du sec et de l’humide, et c’est sous cette nouvelle forme qu’elle nous apparaît dans Aristote, fils lui-même de médecin, tandis qu’elle s’était déjà propagée dans l’école italique et qu’elle avait donné lieu, de la part des mathématiciens de l’école de Pythagore, aux spéculations géométriques que nous retrouvons dans le Timée.

Un pareil succès prouve clairement que la conception d’Empédocle répondait à une nécessité scientifique de l’époque ; mais il suppose également que son auteur avait su développer cette conception de façon à séduire le public auquel il s’adressait, non seulement par le charme de ses vers, mais aussi par la valeur réelle de ses idées.

La pluralité des éléments, suivant un nombre plus ou moins restreint, peut avoir été soutenue avant lui ; avoir fait triompher cette doctrine, qui devait régner près de vingt siècles, est un titre de gloire inattaquable.

Comment Empédocle fut-il conduit à cette conception, nous n’en savons rien ; en tout cas, historiquement, la valeur en est simplement empirique, quelles que soient les raisons a priori sur lesquelles Aristote a essayé de l’appuyer. À l’idée primitive du monisme, incapable de se prêter au progrès de la science, elle opposait, comme fait, la distinction, familière à tous, des trois états des corps, solide, liquide et gazeux, en y joignant une quatrième forme, indispensable pour rendre compte des phénomènes de lumière et de chaleur. Évidemment, il y avait une anticipation illégitime à affirmer que les combinaisons en proportions variées de ces quatre éléments suffiraient pour expliquer les innombrables propriétés des corps naturels ; mais, tant que l’étude n’alla pas plus avant, cette affirmation satisfaisait.

Obscurément battue en brèche pendant le moyen âge par les conceptions alchimistes, qui n’allaient guère pourtant qu’à augmenter