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une détermination arbitraire propre à Empédocle qui aura voulu préciser pour l’imagination la répartition dans le cosmos des grandes masses distinctes, comme il a voulu préciser par exemple la composition des os[1]. Il est clair en effet que pour lui, d’après la nature qu’il attribue à la lune, celle-ci se trouve à très peu près à la limite supérieure de l’atmosphère propre à la terre.

À la vérité, il est difficile de concevoir comment Empédocle pouvait faire concorder cette détermination avec son idée de l’égalité des quatre éléments. Il est clair, en effet, qu’elle donne, au point de vue du volume, une prédominance énorme à l’air et au feu par rapport à la terre et à l’eau, à moins que l’on n’admette que l’Agrigentin ne supposât pas l’existence d’éléments absolument purs. Peut-être même, comme Anaximène et Anaxagore, croyait-il à l’existence d’astres obscurs et de nature terreuse, servant à compléter l’explication des éclipses et des phases ; on sait que dans le système de Philolaos la même idée se retrouve dans l’antichtone. Mais, pour Empédocle, nous n’avons aucune indication à ce sujet.

VI

Cet aperçu suffit sans doute pour montrer que la cosmologie d’Empédocle ne présente pas une véritable originalité, et que sa doctrine neuve sur les éléments ne lui a nullement donné l’occasion d’apporter quelque modification sérieuse et valable aux conceptions antérieures. On en peut dire autant de ses opinions sur les phénomènes de la nature inorganique ; d’ailleurs ce ne sont pas là les sujets qui le captivaient davantage. Il s’est surtout attaché à la vie organique, aux problèmes de toutes sortes qu’elle soulève depuis la génération jusqu’à la sensation ; c’est un terrain qu’avant Anaxagore les Ioniens n’avaient guère abordé, mais qu’en Italie Alcméon, puis Parménide avaient déjà déblayé. Empédocle se rattache en fait à leur école, mais il développe avec amour les mêmes questions, y introduit des explications conformes à sa doctrine des éléments, qui se trouve ainsi amplement illustrée, et, sur nombre de points, il donne libre carrière à son originalité.

  1. En supposant la terre sphérique, en admettant qu’Empédocle prit, comme Thalès, le diamètre du soleil comme la 720e partie de son orbite, enfin en prenant approximativement, comme le faisaient les anciens Grecs, 3 pour le rapport de la circonférence au diamètre, il s’ensuivrait d’après les indications mentionnées, que le rayon de l’orbite solaire identifié à celui de la sphère céleste (opinion encore courante en Sicile au temps d’Archimède) serait d’environ 240 rayons terrestres, et celui de l’orbite lunaire de 80 rayons terrestres. Si ce dernier chiffre n’est guère supérieur que d’un quart à la réalité, il n’y a évidemment là qu’un simple hasard.