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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

opinion, relativement à la terre. Peut-être ne l’avait-il pas énoncée dans ses vers.

Les étoiles sont des feux isolés au milieu de l’air et dont les uns sont attachés à la voûte de « crystal » (fixes), les autres flottent au-dessous (planètes). C’est toujours la conception d’Anaximène. Pour la lune, au contraire, comme je l’ai dit, Empédocle adopte la doctrine d’Anaxagore ; c’est un corps obscur par lui-même, qui reçoit sa lumière du soleil, qui d’ailleurs est opaque et peut dès lors éclipser l’astre du jour. Toutefois l’Agrigentin ne le reconnaît point comme de nature terreuse ; c’est une concrétion formée par de l’air nuageux.

Enfin, pour le soleil, il paraît avoir adopté une conception originale, qui forme transition entre celles de Parménide et de Philolaos. La véritable source de la lumière est la moitié de l’atmosphère qu’il considère comme ignée ; ce qui nous apparaît comme soleil est un reflet (ἀνταύγεια) de cette lumière sur un corps « crystallin », reflet qui se déplace en suivant le mouvement révolutif du feu. Mais quel est ce corps cristallin ?

On admet d’ordinaire que c’est un astre véritable[1] et c’est l’interprétation immédiate à laquelle conduit en effet le texte passablement obscur des Placita, II, 20. Cependant on peut, à meilleur droit peut-être, penser qu’il s’agit simplement de la voûte solide du ciel. Le soleil serait donc comme un de ces points brillants qu’on observe dans certaines conditions sur les surfaces polies éclairées, en particulier quand elles sont arrondies[2].

C’est dans ce sens qu’on peut peut-être le mieux expliquer le vers 242 :

ἀνταυγεῖ πρὸς Ὄλυμπον ἀταρβήτοισι προσώποις.

Le feu cosmique se reflète sur l’Olympe (la voûte céleste) pour les yeux qui peuvent le contempler en face ; ce reflet, suivant la révolution générale, parcourt le vaste ciel (v. 241) et le chemin qu’il décrit peut être considéré comme la limite du cosmos (Placita, II), puisqu’en fait cette limite est la voûte éthérée solide.

Quant aux indications que le soleil a la même dimension que la terre[3], et que la lune est deux fois plus loin du soleil que de la terre la première est une opinion du vieil Anaximandre, la seconde semble

  1. Cette explication est celle que j’avais adoptée dans mon essai précité sur la Physique de Parmenide.
  2. Ou encore, en s’attachant davantage au texte (ἀπὸ κυκλοτεροῦς τῆς γῆς κατ’ ἀνάκλασιν) le soleil serait une image lumineuse de la terre réfléchie sur la voûte céleste. C’est pourquoi ses dimensions seraient égalées à celles de la terre.
  3. D’après Karsten, il faudrait corriger : que le soleil est deux fois plus loin de la terre que de la lune.