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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

Si, de la caractéristique générale du système d’Empédocle, nous passons à l’examen des doctrines physiques particulières, l’Agrigentin n’apparaît plus dans la même dépendance vis-à-vis d’une école particulière ; c’est qu’en fait, comme j’ai essayé de le montrer ailleurs[1], les premiers Pythagoriens n’avaient nullement constitué une physique qui leur fût propre. Les maîtres inconnus[2] qui enseignèrent à Empédocle la métempsycose et tous les mythes semblables qu’il adopta et développa, ne purent donc, quant aux lois de la nature, lui transmettre qu’un mélange du fonds commun aux physiologues ioniens et de quelques idées spéciales, que Parménide avait déjà fait connaître pour la plupart. À ces premières données, aux fruits de ses études propres, Empédocle joignit d’ailleurs des emprunts faits même à ses contemporains, comme Anaxagore, dont il adopta la découverte relative à la lumière de la lune. Son œuvre apparaît donc comme passablement éclectique, en dehors de l’originalité spéciale que lui donne la doctrine des éléments distincts, et il faut reconnaître d’ailleurs qu’elle ne consacre, au point de vue scientifique, aucun progrès décisif.

V

Résumons rapidement les principaux traits de sa conception du monde[3].

L’air qui s’est dégagé le premier du chaos, se trouvant arrêté aux limites de l’univers, y forme une voûte de « crystal » solide ; c’est l’idée d’Anaximène.

La partie de l’air non ainsi solidifiée, mélangée d’un peu de feu, remplit la moitié sombre de la sphère cosmique ; la moitié lumineuse est au contraire essentiellement constituée par du feu ; cette conception appartient à la doctrine de Parménide, et est probablement d’origine pythagorienne. Empédocle y ajoute que c’est le défaut d’équilibre entre ces deux moitiés qui est la raison de la révolution

  1. La Physique de Parmenide, dans la Revue philosophique de septembre 1884, p. 285.
  2. Ces maîtres doivent sans doute être comptés au nombre des Pythagoriciens s’occupant de médecine et y mêlant, à l’exemple du Maître, des pratiques religieuses ; c’est en effet cette face du caractère de Pythagore qu’Empédocle essaye de reproduire pour son compte ; tout au contraire il ne semble avoir aucunement subi l’influence de l’école mathématique ; il est au reste bien douteux qu’avant lui, cette école eût déjà essayé d’appliquer à la nature les spéculations sur les nombres et les figures géométriques.
  3. Doxographi græci, éd. Diels ; Berlin, 1879, pp. 334, 338, 339, 341, 342, 328, 330, 331.