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IV

Pour résumer la discussion qui précède, pour revenir à la question qui en a été l’origine, on peut dire, semble-t-il, qu’en dehors des propriétés motrices spéciales de ses deux milieux attractif et répulsif, Empédocle reconnaît, non seulement l’attraction des semblables, mais encore, au moins comme puissances secondaires et dérivées, les actions mécaniques que l’on peut observer dans les tourbillons et que l’on désigne sous le nom de forces centripète et centrifuge. À cet égard d’ailleurs, il ne faisait que suivre la tradition des physiologues milésiens, chez lesquels l’existence du tourbillon de la révolution diurne et les actions mécaniques qui en résultent jouaient le rôle capital pour la cosmogonie.

Mais, tandis que, pour Anaximandre et Anaximène, ce tourbillon est éternel et primordial, il n’est plus, chez Empédocle, qu’un phénomène variable et transitoire. Si l’on remonte à l’idée centrale de son système, l’Agrigentin apparaît surtout comme un disciple de l’école de Pythagore, développant librement les principes du Maître.

La Philotès est avant tout le principe d’unité, de stabilité, et par suite d’immobilité ; c’est pourquoi une fois le tourbillon universel constitué, elle se place naturellement au centre, c’est-à-dire à la partie qui échappe davantage à ce tourbillon. Le Neikos au contraire est le principe de division et de mouvement ; par suite de sa mobilité même, il s’insinue naturellement à l’intérieur du Sphéros immobile, l’ébranle et finit par produire un mouvement de révolution. Mais, dès que cette révolution est commencée, le Neikos est à son tour rejeté à la circonférence là où le mouvement est le plus rapide, et finalement il est exclu du monde. Enfin, dans l’accélération de la révolution régulière aux dépens des mouvements locaux et désordonnés, Empédocle semble avoir entrevu de loin le principe de la conservation de l’énergie.

Si l’on compare son système à ce que nous pouvons soupçonner de celui des premiers Pythagoriens, Empédocle a substitué des explications mécaniques aux grossières représentations anthropomorphiques de l’inspiration et de l’expiration du vide par l’unité pleine. D’après le tour qu’il a donné à ces explications, une autre différence capitale intervient ; pour les premiers Pythagoriens, le vide existe dans le cosmos, où il est tantôt plus grand, tantôt moindre ; pour Empédocle, il ne subsiste dans le cosmos que les effets même du Neikos, à savoir la distinction des éléments et le mouvement communiqué à leur ensemble.