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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

dans quelque lieu qui fût à l’abri de l’invasion du milieu répulsif, une combinaison stable des éléments dissociés.

Mais dès que le tourbillon général s’est dessiné, cet abri que cherche la Philotès est trouvé ; elle se précipite au centre et le Neikos recule à la circonférence ; en même temps, et par l’action du tourbillon beaucoup plutôt que par celle de l’un ou l’autre des deux milieux, se forment les grandes masses des quatre éléments. Cependant la Philotès parvient à associer les parties de ces éléments qui constitueront les êtres individuels, après des tentatives plus ou moins heureuses et une lutte prolongée contre le désordre produit par le Neikos : celui-ci, en effet, ne cède la place que peu à peu et d’une façon inégale. En même temps, l’accélération du mouvement tourbillonnaire, qui semble résulter de ce conflit et se faire aux dépens des mouvements irréguliers, favorise de plus en plus l’action de la Philotès et rejette de plus en plus le Neikos hors de la sphère du cosmos.

Le monde est donc organisé par la Philotès, mais grâce à un phénomène dû au Neîkos et dont elle régularise seulement les effets, grâce au mouvement. Pour que le but final de la Philotès soit atteint, pour la reproduction du Sphéros homogène, il faut que ce mouvement disparaisse à son tour. Comment cela pourra-t-il avoir lieu, alors que le tourbillon n’a fait que gagner en intensité ? Ici nous ne pouvons guère répondre, les documents valables nous faisant défaut ; toutefois il ne convient pas de rejeter sans examen l’assertion de Clément d’Alexandrie (Strom., V, 104) et des Philosophumena d’après laquelle la fin du cosmos d’Empédocle serait due à un embrasement général. L’Agrigentin semble bien avoir emprunté aux Ioniens, et en particulier à Héraclite, l’idée de la genèse et de la destruction périodiques du cosmos ; quoiqu’il s’éloignât de l’Éphésien, pour ainsi dire sur tous les autres points, ne pouvait-il pas lui emprunter aussi cette idée de l’ἐκπύρωσις, qui lui fournissait une solution si commode d’un problème embarrassant ? En supposant que l’accélération du mouvement diurne continuât toujours, il arrivait évidemment à imaginer à la limite des conditions essentiellement favorables à un embrasement universel ; il pouvait d’autre part se représenter cet embrasement comme amenant brusquement le triomphe définitif de la Philotès, par le mélange et l’union intime des quatre éléments, comme épuisant en même temps leur tendance aux mouvements locaux, puisque c’est dans le feu que cette tendance apparaît au plus haut degré.