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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

de l’homogène, et, dans cet état de dissociation, le repos originaire aura fait place à un tohu-bohu où s’agitent, en mouvements désordonnés, les masses élémentaires, indistinctes et confuses. C’est l’antique χάσμα d’Hésiode, où court çà et là la tempête, comme c’est aussi le chaos décrit par Ovide dans des vers dont quelques-uns semblent imités d’Empédocle.

À la vérité, à l’appui de cette représentation du règne de la Haine, je ne puis citer aucun texte précis, pas plus que je n’en rencontre qui la contredise ; mais c’est la seule qui me paraisse d’accord : 1o d’une part avec le fait, attesté par Aristote, qu’Empédocle n’assignait aucun lieu spécial à chacun de ses quatre éléments ; 2o de l’autre, avec l’importance que prennent les mouvements irréguliers, paraissant s’effectuer au hasard, dans la cosmogonie d’Empédocle.

Après le tableau que j’ai essayé de compléter, les fragments nous en présentent, sans transition, un autre tout différent ; la δίνη, le tourbillon de la révolution diurne existe ; la Philotès a établi son siège au centre de ce tourbillon et repoussé le Neîkos à la çirconférence ; les éléments repris par le milieu attractif s’organisent en cosmos au fur et à mesure des progrès de la nouvelle évolution. Le mouvement du tourbillon, d’abord très lent (la révolution a duré neuf mois, puis sept mois, Plac., V, 18, 1), s’accélère en même temps énormément, soit peu à peu, soit brusquement, à la suite de crises décisives[1]. D’autre part, les mouvements locaux, désordonnés, après avoir grandement contribué à la genèse du monde, tel qu’il est, ont perdu de leur importance, et désormais le cosmos a atteint une ordonnance régulière dans la périodicité des phénomènes généraux.

Quelle est la véritable liaison entre les deux scènes successives du grand drame cosmogonique ? Que devient au juste le milieu attractif pendant les progrès du milieu répulsif, et quelle est la véritable cause du tourbillon diurne ?

D’après Ed. Zeller (p. 229), cette cause ne serait autre que l’Amour lui-même ; il serait venu se placer entre les masses séparées (on pourrait conclure de là qu’elles sont représentées comme occupant chacune un quart de sphère) et il aurait d’abord produit en un point un mouvement tourbillonnant en vertu duquel une partie des substances aurait été mélangée, tandis que (autre expression du même fait) la Haine aurait été exclue du cercle ainsi formé. Le mouvement s’étendant toujours davantage et la Haine étant repoussée toujours plus loin, les substances encore séparées auraient été atti-

  1. Le texte obscur des Placita et le défaut des autres documents ne permettent pas d’affirmation dans un sens ou dans l’autre.