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III

En dehors de l’attraction des semblables, la doctrine d’Empédocle suppose implicitement une autre force, celle qui règle le déplacement périodique des deux milieux matériels, et qui apparaît évidemment comme indépendante de l’essence propre de ces milieux. Mais quand l’Agrigentin parle d’une loi fatale, d’un « grand serment » qui préside à ces déplacements, il ne semble guère avoir conçu d’une façon bien précise cette loi spéciale ; on pourrait dire qu’il n’en connaît que l’effet, la périodicité, et qu’il induit l’universalité de cet effet de la contemplation des grands phénomènes de la nature.

Le mieux serait peut-être de s’en tenir à cette vague conclusion ; essayons toutefois de préciser, un peu plus que nous l’avons fait jusqu’à présent, les circonstances du déplacement des deux milieux, telles qu’Empédocle nous les décrit ; c’est évidemment le seul moyen de jeter un peu de lumière sur ce point douteux, si toutefois il peut vraiment être éclairci.

On est d’accord pour reconnaître que dans l’état primordial où les éléments formaient une masse homogène liée par l’Amour, la Haine était exclue du Sphéros ; on ne peut dès lors se la représenter que comme enveloppant celui-ci d’une couche vide de tout élément corporel, mais d’ailleurs finie, puisqu’Empédocle, comme je l’ai dit, ne conçoit pas l’espace infini.

Le poète déclare d’ailleurs formellement que le Sphéros est immobile, « qu’il jouit d’un repos absolu » (v. 168 et 176). Évidemment ce repos doit s’entendre aussi bien de la totalité que des parties, c’est-à-dire qu’il faut exclure le mouvement de révolution (diurne), la δίνη qui interviendra plus tard dans la cosmogonie.

« (177) Mais quand le Neîkos eût assez grandi dans les membres du dieu, (178) quand il se fut élevé aux honneurs après le temps révolu (179) que lui fixait à son tour le grand serment échangé, (180) alors successivement s’ébranlèrent toutes les parties du Sphéros. »

Ainsi le Sphéros aspire peu à peu le milieu environnant, et le premier effet est de produire des mouvements locaux qui peu à peu gagnent tout l’ensemble. Ces mouvements entraînent les groupes de particules élémentaires qui se réunissent ; il ne faut évidemment les concevoir comme soumis à aucune loi ; il ne faut pas non plus supposer que le Neîkos arrive à produire une séparation complète, qui conduise chacun des quatre éléments à une place déterminée de l’univers. Son action n’ira pas plus loin qu’une dissociation complète