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(89) mais chacun a son rôle, chacun son caractère ; (90) tour à tour ils dominent à des périodes révolues, (91) tour à tour suivant la loi fatale l’un se perd dans l’autre qui grandit. »

Stein a bien vu les difficultés que présente ce passage, et il a soutenu que les vers 90 et 91 devaient être séparés des précédents et entendus seulement de l’Amour et de la Haine. Ainsi, d’après lui, ces deux milieux pourraient se transformer l’un dans l’autre ; les éléments corporels seraient seuls irréductibles.

Mais l’examen attentif des passages où Empédocle décrit le passage de la prédominance de l’Amour à celle de la Haine, ou réciproquement, n’indique au contraire nullement un changement de l’un des principes dans l’autre ; tout s’explique par un simple déplacement dans l’espace. Partout ailleurs Empédocle représente les éléments corporels comme irréductibles ou comme perdant tout au plus leur distinction dans l’unité du Sphéros. Il vaut donc mieux s’en tenir sur ce point à l’opinion courante.

On peut remarquer que le vers 91 n’est nullement donné par Simplicius à cet endroit, où il a été introduit par Karsten. Mais ce dernier l’a pris dans une autre citation où il suit également le même vers, et où il en précède d’autres qui doivent s’entendre spécialement des éléments corporels.

« (147) Tour à tour ils dominent à des périodes révolues, (148) tour à tour suivant la loi fatale l’un se perd dans l’autre qui grandit. (149) Car ce sont eux-mêmes qui, courant les uns à travers les autres, (150) engendrent et les hommes et les races de bêtes ; (151) tantôt la Philotès les réunit en un seul cosmos, (152) tantôt ils se séparent emportés par le Neîkos haineux, (153) jusqu’à ce que périsse l’ensemble où ils étaient confondus. »

En comparant ce passage avec le précédent et avec l’ensemble des autres fragments d’Empédocle, il semble possible d’entendre les vers 90, 91 ou 147, 148 en admettant que le poète s’y sera conformé aux habitudes du langage ordinaire ; il n’aurait donc voulu parler que des apparences, suivant lesquelles les éléments semblent se transformer l’un dans l’autre, et il aurait seulement admis que, d’après ces apparences, dans l’évolution périodique de l’univers, un élément pouvait tour à tour paraître prédominer sur les autres.

Cette difficulté écartée, nous pouvons aborder une autre question qui, malgré son importance capitale, a généralement été négligée. Empédocle reconnaît-il d’autres forces motrices en dehors de celles qui sont inhérentes aux deux milieux, l’Amour et la Haine ?

Il est tout d’abord une force que l’Agrigentin reconnaît en termes exprès sous diverses formes et qui joue un grand rôle dans sa phy-