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TANNERY.la cosmogonie d’empédocle

logie. Quant aux noms poétiques qu’Empédocle a choisis pour désigner ces milieux, ils ne doivent point faire illusion ; le fils de Méton aurait difficilement mieux trouvé pour exposer en vers, comme il se l’était proposé, des concepts aussi nouveaux que les siens. Mais il n’y a nullement là des personnifications mythologiques, pas plus que quand les quatre éléments corporels sont appelés Zeus, Hèré, Aïdôneus et Nestis ; c’est simplement un appareil poétique dont l’esprit est au contraire aussi directement opposé à celui des croyances populaires que pouvaient l’être les interprétations allégoriques de l’école d’Anaxagore.

Quant à l’origine de sa conception, il est désormais bien facile de la reconnaître ; Empédocle n’a nullement fait un pas en avant sur la voie ouverte par Anaxagore, il n’a nullement dédoublé, pour quelque raison mystique, le Noos du Clazoménien ; son point de départ est l’antique opposition pythagorienne de l’un solide et du vide (également conçu en fait par Pythagore comme un milieu matériel)[1], qui crée les choses en pénétrant le principe corporel. Nous verrons mieux plus loin l’analogie entre cette idée et celle de l’action du Neikos sur le Sphéros. Pour le moment, l’indication suffit.

Empédocle n’a pas cru possible d’expliquer avec un seul élément corporel, comme l’avaient essayé les anciens physiologues, l’infinie variété des phénomènes ; mais au lieu de lui faire correspondre, avec Anaxagore, une indéfinie variété de principes, il s’est contenté — et c’est là sa grande originalité — de choisir quatre formes types comme irréductibles entre elles. S’il divisait de la sorte l’unité pythagorienne, rien n’était dès lors plus naturel pour lui que de subdiviser également le milieu qui pénètre cette unité ; mais ici deux formes seulement, l’attractive et la répulsive, se trouvaient indiquées d’elles-mêmes, tandis que, pour les principes corporels, la distinction en quatre ressortait aussi bien des apparences phénoménales immédiates que des diverses tentatives dues aux physiologues ioniens.

II

Les éléments d’Empédocle sont-ils véritablement irréductibles entre eux ? Tous les témoignages de l’antiquité sont unanimes sur ce point, mais ici encore ils semblent en contradiction avec un texte conservé :

« (V. 88) Tous sont égaux entre eux, tous sont également anciens,

  1. Voir mon article : Pour l’histoire du concept de l’infini au vie siècle av. J.-C., dans la Revue philosophique de décembre 1882.