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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

de comparer les opinions qu’un homme s’attribue dans ses Mémoires écrits à la fin de sa vie avec les opinions qu’il a exprimées au jour le jour dans ses lettres. Le seul accord qui ait une valeur est l’accord entre les documents rédigés à différentes époques ; encore ne faut-il pas qu’ils se rapportent à la même impression ; plusieurs rédactions d’un même fait n’ont guère plus de valeur qu’une seule, car dès la première la narration a été fixée ; elle est devenue, dans l’esprit de l’auteur, une sorte de texte définitif que l’auteur reproduit comme on copie un document. La concordance n’a de valeur que si elle porte sur plusieurs impressions différentes fixées chaque fois dans une rédaction nouvelle : il n’y a plus alors d’autre cause d’erreur que le caractère général de l’auteur.

L’accord entre les impressions de plusieurs hommes peut ou être constaté par l’historien qui compare plusieurs documents indépendants ou avoir été constaté autrefois par un accord commun dans un seul document collectif. Une affirmation collective est plus probable qu’une affirmation individuelle, parce qu’elle fait présumer une cause générale à l’affirmation. De là vient la préférence des historiens expérimentés pour les actes officiels : ce sont des documents collectifs approuvés, sinon rédigés, par plusieurs hommes et qui ne rapportent que des impressions communes aux témoins de l’acte ; aussi un acte officiel perd-il sa valeur si l’on croit qu’il a été rédigé par un seul témoin et que les autres l’ont approuvé sans le lire. Mais l’accord constaté par un document rédigé en commun peut avoir été produit par une cause autre que la communauté d’impressions, et d’ordinaire on ignore dans quelle mesure cette cause a agi. L’accord entre les dépositions de plusieurs témoins devient aussi moins concluant si un même homme a rédigé ces dépositions. La seule concordance sûre est celle que l’historien établit lui-même entre des impressions ressenties par des hommes différents et manifestées dans des documents rédigés par des auteurs différents.

La probabilité d’un fait connu par des documents dépend ainsi de deux sortes de données : 1o les conditions qui ont permis à l’auteur des documents de recevoir et de reproduire exactement l’impression produite sur lui par les faits (et la précision avec laquelle nous pouvons nous assurer de ces conditions) ; 2o le nombre des affirmations concordantes que nous avons sur ce fait (et la précision avec laquelle nous pouvons constater que ces affirmations sont indépendantes). La probabilité ne peut être calculée qu’en tenant compte à la fois de ces deux sortes de données, elle n’est pas en raison uniquement du nombre des documents connus, ni uniquement de la facilité que les contemporains du fait ont eue à le connaître. Un