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LA COSMOGONIE D’EMPÉDOCLE


I

Dans l’exposition courante de la doctrine d’Empédocle, on oppose, aussi complètement que possible, à ses quatre éléments matériels, les deux forces qu’il personnifie sous les noms d’Amour et de Haine, et on attribue à ces forces un caractère pleinement abstrait. Cette conception est à la vérité absolument conforme avec l’interprétation de tous les anciens, à commencer par Aristote, mais elle n’en est pas moins en désaccord avec le texte très formel des vers qui nous ont été conservés par Simplicius :

(V. 75-81, éd. Mullach.)[1] « Écoute donc ma parole, car l’enseignement accroît l’intelligence. Ainsi que je l’ai déjà dit, mon discours aura une double limite ; car tantôt, d’une part, l’unité se forme de la pluralité et parvient à subsister seule, tantôt elle se résout en une pluralité ; c’est le feu, l’eau, la terre, l’air immensément profond ; en dehors d’eux, le pernicieux Neikos qui fait équilibre à chacun (ἀτάλαντον ἑκάστῳ),[2] et avec eux, la Philotès, qui les égale en longueur et en largeur. »

Zeller[3] remarque bien à ce propos qu’Empédocle traite ces deux forces comme des substances corporelles mêlées aux choses, mais il se contente d’ajouter que l’idée de la force était encore si confuse chez l’Agrigentin, qu’il ne la distinguait pas nettement des éléments corporels.

Évidemment cela ne suffit point, si l’on veut se rendre un compte exact du système d’Empédocle ; car il ne s’agit nullement de savoir s’il confondait dans ses concepts des idées que nous distinguons soi-

  1. Je citerai d’après les Fragmenta philosophorum græcorum, vol. I (Didot), mais je m’aide, pour la traduction, des leçons données par Diels dans son excellente édition : Simplicii in Aristotelis Physicorum libros quattuor priores, Berlin, Reimer, 1882.
  2. Cette leçon, due à Panzerbieter, est, à mon sens, la seule admissible ; les manuscrits ont ἀτάλαντον ἑκάστον ; Sextus Empiricus, ἀτάλαντον ἀπάντῃ ; Usener a proposé ἀπάλαιστον ἑκάστῳ.
  3. La philosophie des Grecs, traduction Boutroux, t.  II, p. 217.