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DURKHEIM.la morale en allemagne

toutes les intelligences. Sans doute il y a une morale pour tous ; il n’y en a même pas d’autre. Mais cette morale-là est un objet de science, non une science ; elle ne s’explique pas par elle-même. C’est tout un monde à explorer et où il y a assurément de belles découvertes à faire. Peut-être même est-il plus facile de déterminer les lois de la mémoire ou celles de la digestion que de découvrir les causes de ces idées si complexes qui se sont lentement formées pendant le cours des siècles.

Il serait tout à fait injuste de dire que les Allemands n’aient pas senti le besoin d’introduire dans la morale une spécialisation plus grande. Toutes les doctrines dont nous avons parlé étaient mues au contraire par un même sentiment : c’est que les notions dans lesquelles on a voulu jusqu’ici renfermer la morale sont abstraites et vides, étant trop éloignées des faits. Nous avons même vu M. Wagner traiter par l’analyse les questions de morale qu’il se posait. On n’a pas oublié non plus ce passage où M. Scheffle rappelle qu’il n’y a pas une vertu, mais des vertus, un devoir, mais des devoirs. D’ailleurs les deux derniers volumes de son ouvrage sont consacrés en partie à une analyse des différents droits et des différentes mœurs. Cependant, quoique cette idée fût présente dans tous ces travaux, elle y est rarement poussée jusqu’à ses conséquences logiques. Presque partout la préoccupation dirigeante était d’arriver à formuler le principe fondamental de la morale ; et toutes ces études spéciales dont nous avons signalé l’existence, trop directement subordonnées à cette question dominante, avaient quelque chose d’un peu hâtif. On sentait bien qu’elles n’étaient pas là pour elles-mêmes, mais seulement pour servir à édifier la théorie que l’on projetait. Le seul moraliste de l’Allemagne qui ait aimé et étudié le détail pour lui-même, c’est M. Albert-Hermann Post, dont il nous reste à parler.

M. Post est un très curieux et très vivant esprit. Il s’est mis à ces études sur la morale et la philosophie du droit il y a une vingtaine d’années et depuis il ne les a jamais délaissées, poussant toujours son idée devant lui avec une remarquable persévérance. Avec le temps, ses doctrines ont bien changé. En 1867, il publiait une petite brochure intitulée : La loi naturelle du droit. Introduction à une philosophie du droit sur la base de la science empirique moderne (Das Naturgesetz des Rechts. Einleitung in eine Philosophie des Rechts auf Grundlage der modernen empirischen Wissenchaft), qui était encore empreinte du plus pur esprit de Kant et de Schopenhauer. Dans son dernier ouvrage, il aboutit au contraire à l’évolutionnisme. Entre temps il publia sur les mêmes sujets un très grand nombre de travaux : La société domestique des temps primitifs et