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DURKHEIM.la morale en allemagne

positive une philosophie du droit, qui serait chargée de démontrer la dignité de la personne humaine et la vérité de l’impératif catégorique. Mais que la science réclamée par M. Stein se fonde et s’organise, et l’inutilité de cette philosophie se prouvera d’elle-même[1].

Il est cependant incontestable que la pratique de cette méthode a eu pour effet de confirmer quelques-unes des thèses fondamentales de l’évolutionnisme. Ainsi il n’est pas un de nos moralistes qui ne reconnaisse que les idées morales sont le produit d’une évolution. Seulement voici ce qui fait leur originalité et aussi leur supériorité : c’est que ces vérités sont induites par eux de l’étude directe des phénomènes moraux, au lieu d’être déduites d’une hypothèse plausible et séduisante entre toutes assurément, mais qui n’est pourtant qu’une conjecture. Nous ne songeons pas du tout à contester les principes de l’évolutionnisme ; mais il ne nous semble pas qu’on en puisse faire la base d’une science. C’est une idée directrice, une idée de derrière la tête, suggestive et féconde ; mais ce n’est ni une méthode ni un axiome. Une science a pour point de départ des faits et non des hypothèses. Sans doute, quand elle vient de naître, les vues subjectives et conjecturales occupent à peu près toute la place, et il est bon qu’il en soit ainsi ; mais à mesure qu’elle s’élève et se consolide, les hypothèses régressent de la base au sommet. L’hypothèse évolutionniste a assurément rendu de grands services aux sciences morales ; mais tout le monde doit désirer qu’il se forme enfin une morale qui ne soit ni spiritualiste, ni panthéiste, ni évolutionniste, qui soit tout simplement la science des mœurs.

D’ailleurs, ces hypothèses ont le défaut d’être formées par analogie : ce sont des vérités très générales que vérifient un très grand nombre de faits psychiques et organiques et que l’on entreprend d’appliquer à la morale. Sans doute l’analogie est un utile instrument de découverte ; mais elle a le grand inconvénient de ne mettre en relief que les ressemblances qu’il y a entre les choses et de faire perdre de vue ce qu’elles ont de distinctif. Si donc on essaye de faire reposer toute la morale sur un principe emprunté à la biologie ou à la psychologie, on peut être assuré d’avance qu’on n’apercevra des faits moraux que ce qu’ils ont de biologique ou de psychologique. C’est en effet ce qui arrive souvent aux moralistes évolutionnistes, notamment dans les questions de pathologie morale ou, comme on dit, de criminologie. On sait en effet combien les criminologistes de cette école ont une tendance à faire de l’hérédité le facteur unique

  1. Voir, outre sa Staatswissenschaft, son livre sur le présent et l’avenir de la science du droit et de la science politique en Allemagne (Gegenwart und Zukunft der Rechts und Staatswissenschaft in Deutschland).