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la légende de la ville. L’accord ici est produit par la ressemblance entre les états subjectifs des assistants ou par la communauté des sources de renseignement. Pour que l’accord puisse être attribué à un fait extérieur, il faut qu’il ne soit ni la conséquence d’une ressemblance entre les sujets, ni le résultat d’un accord antérieur entre eux. L’accord que nous constatons doit n’exister que dans notre esprit ; il est d’autant plus concluant sur un point que la discordance des témoins est plus grande sur les autres points, que les témoins sont plus différents et ont eu moins de chance de recevoir une tradition commune ; on a confiance dans un fait affirmé par des hommes de condition ou de pays différents et qui ont connu le fait avant qu’une tradition ait eu le temps de se former. La concordance n’est concluante que lorsqu’on en connaît les causes. Cependant, plus les témoignages concordants deviennent nombreux, plus s’accroît la chance que quelques-uns aient eu pour cause un fait extérieur qui est cause de leur accord. La concordance tend à éliminer les chances d’erreur qui tiennent à des causes personnelles ; elle groupe les chances de vérité qui tiennent à une cause commune.

Le fait qu’on veut affirmer doit être commun à plusieurs observations. Des observations différentes peuvent provenir ou d’hommes différents qui observent au même moment ou d’un même homme qui a observé à plusieurs moments différents ; si elles concordent, c’est dans le premier cas une concordance entre plusieurs états d’esprit simultanés de plusieurs hommes, dans le second une concordance entre plusieurs états successifs du même homme. La concordance des états simultanés de plusieurs hommes a d’ordinaire plus de valeur ; on présume que plusieurs hommes au même moment diffèrent entre eux plus qu’un homme ne diffère de lui-même à différentes époques de sa vie. Cependant un savant adulte et le même savant enfant diffèrent plus entre eux que deux paysans du même village. — Ce qui rend suspecte la concordance entre les impressions d’un même homme, c’est qu’elles ne sont pas indépendantes ; Toute impression reçue laisse dans l’esprit d’un homme un souvenir, et c’est à travers ce souvenir qu’il reçoit désormais toutes les impressions semblables ; souvent même ce souvenir prend une forme précise qui s’oppose à l’entrée d’une autre impression.

L’accord entre les impressions d’un homme peut se marquer soit dans un seul document, soit dans plusieurs. Il ne se marque dans un seul document que si l’auteur a donné un résumé de ses impressions, l’accord n’est connu en ce cas que par une affirmation qui dépend de la sincérité de l’auteur et de l’exactitude de ses souvenirs. Aussi ces résumés sont-ils presque tous suspects ; il suffit, pour s’en assurer