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entre mille la bouche qu’il a vue une fois et qu’il a aimée. Ce prodige de mémoire est l’effet d’une attention éveillée par un sentiment d’amour passionné.

Voici maintenant où commence la fantaisie. L’auteur a fait de M. X. un viveur à outrance, une hôte assidu des maisons publiques du beau monde. Il nous semble que le caractère intellectuel de M. X. est tracé d’une main un peu incertaine. Si M. X. existe, ce doit être un homme qui, sans dédaigner la jouissance matérielle, apprécie surtout les plaisirs de l’imagination ; ce doit être un ruminant érotique.

Mais, tout en faisant ces remarques, il ne faut pas perdre de vue le procédé ordinaire des romanciers ; témoins d’un fait de la vie réelle, ils cherchent à l’amplifier pour le rendre plus sensible à leurs lecteurs. L’auteur dont nous analysons l’ouvrage a probablement observé un cas de fétichisme léger ; il l’a grossi pour l’optique du roman, et il a oublié d’élever au même ton certains détails accessoires qui en dépendent, tels que le caractère intellectuel du fétichiste.

Quoi qu’il en soit, il est bien curieux qu’on ait taxé de licencieux un livre qui ne fait que décrire un cas de pathologie mentale. L’auteur a été le premier à s’y méprendre. Il se propose, dit-il dans sa préface, de nous présenter l’histoire de quelques vices bien habillés et de bonne compagnie ; ce qu’il nous a présenté, c’est bel et bien un cas de perversion sexuelle.

Il nous reste à conclure en résumant ce que cette maladie de l’amour nous apprend sur l’amour normal. Il n’y a point de fétichiste dont on ne retrouve la forme atténuée dans la vie régulière. Tous les amants sont épris de la beauté des yeux de leur maîtresse, comme le malade de M. Ball ; ils sont en extase devant la beauté de sa main, comme M. R… ; ils adorent ses cheveux, ils respirent avec délices son parfum favori. Le fétichisme ne se distingue donc de l’amour normal que par le degré : on peut dire qu’il est en germe dans l’amour normal ; il suffit que le germe grossisse pour que la perversion apparaisse.

Ceci nous apprend que l’attrait que l’amant ressent pour toutes les parties du corps d’une personne ne résulte pas d’une admiration platonique, ou d’un sentiment purement esthétique ; cet attrait est sexuel, et la beauté de la femme est pour l’homme une cause d’excitation génitale.

C’est d’ailleurs un fait dont l’observation est presque vulgaire ; il s’agit seulement de bien l’interpréter. Chacun sait que lorsqu’on est passionnément épris d’une personne, on trouve des grâces dans