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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

où la fantaisie commence. Nous allons faire, à ce point de vue, la dissection du livre de M. A. Belot.

Les fétichistes ont en général un tempérament sensuel ; de plus, ce sont des malades ; un grand nombre sont des dégénérés héréditaires, d’autres sont des névropathes, etc. M. X., le héros du livre, se conforme à la règle. Il commence par faire son autobiographie, dont il suffit de lire deux pages pour être convaincu de la sensualité de son tempérament. Quant à ses antécédents personnels ou héréditaires, il n’en parle point ; c’est une lacune ; mais il raconte que M. Charcot, qui le connaît, voit en lui un sujet remarquable[1].

Examinons maintenant les caractères propres de la perversion sexuelle ; nous avons vu que le fétichisme tend à l’abstraction, c’est-à-dire à l’isolement de l’objet aimé, qui, alors même qu’il n’est qu’une fraction du corps d’une personne, se constitue en un tout indépendant. Or, que dit M. X… ? « Le mot bouche signifie pour moi un tout, un ensemble composé des lèvres, des dents, des gencives, de la langue et du palais. »

Les fétichistes disent encore que peu importe que la femme soit laide, si l’objet de leur culte est beau. L’amant de la bouche ne parle pas autrement. « Une femme qui a le nez trop fort, dont les traits sont manqués, qui passe pour laide, peut être charmante si la bouche est réussie. — En revanche, malgré la pureté des lignes du visage, sa réputation de beauté, une femme ne me dit rien si elle a une bouche mal venue. »

Le fétichiste désire que l’objet de son culte ait un volume considérable. M. X… aime les bouches aux lèvres épaisses et charnues. « Tant mieux que la bouche soit grande, ajoute-t-il, il y a plus de place pour le baiser. »

Pour les fétichistes, la perception sensorielle de l’objet aimé cause un plaisir supérieur même à la sensation sexuelle. M. X…, sans faire un franc aveu sur ce point, s’égare dans des demi-confidences qui laissent soupçonner son opinion. Ainsi, il avoue que pour certaines femmes le baiser est le plat de résistance du festin, celui qu’elles préfèrent, et qui parfois peut apaiser leur faim. Il est probable que M. X… est de l’avis de ces femmes. — Plus loin, il soutient cette opinion assez comique qu’une femme qui a accordé le baiser est une coquine quand elle refuse le reste : preuve évidente de l’importance capitale qu’il attache au rapprochement des lèvres. — Ajoutons enfin ce détail caractéristique que M. X… parvient à reconnaître

  1. Rapprochement assez piquant : c’est à MM. Charcot et Magnan que l’on doit les plus belles observations sur le fétichisme amoureux.