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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

ne pouvons lui consacrer dans notre étude que quelques lignes.

Il y aurait un grand intérêt à montrer comment certains sujets en arrivent à satisfaire leur besoin génital en construisant dans leur tête des romans d’amour ; ce procédé consiste essentiellement dans le remplacement d’une sensation par une image ; le sujet ne pouvant pas ou ne voulant pas se donner la sensation génitale qui accompagne la rapprochement sexuel, la remplace par des images du même ordre, qui produisent le même genre de plaisir. C’est don César de Bazan dégustant des lettres d’amour qui ne lui sont pas adressées, ou humant l’odeur d’une cuisine qu’il ne mangera pas.

La plupart des pervertis dont nous avons retracé l’histoire appartiennent à cette classe des ruminants érotiques. Il en est ainsi pour l’amant des clous de bottines, qui passe plusieurs heures à se raconter à lui-même des histoires d’amour. Les deux malades dont j’ai recueilli les observations m’ont confessé également qu’ils s’abandonnaient avec un vif plaisir à des rêveries analogues. L’amant des yeux de femmes se nourrit silencieusement de ses idées érotiques. Rousseau se livre à des fureurs d’imagination où il fait jouer à toutes les femmes qui lui plaisent le rôle de Mlle Lambercier. Évidemment, c’est là un symptôme fréquent du grand fétichisme.

L’image a un défaut, elle est généralement plus faible que la sensation ; aussi le plus beau roman d’amour inventé par un continent n’a-t-il pas la puissance du moindre acte matériel. C’est un fait, dit Bain, qu’on est plus satisfait d’un repas très modeste mais réel, que d’un grand festin en imagination. Les ruminants, qui comprennent très bien cette infériorité de l’imagination, recherchent avec une sagacité remarquable les moyens de faire rendre à l’image mentale tout ce qu’elle peut donner de jouissance. Nous n’avons pas l’intention de reproduire ici le genre de faits que l’on trouve dans l’ouvrage de Tissot ; nous attirerons seulement l’attention sur certains procédés moins connus de dynamogénier les images.

On a signalé déjà le fait de discuter en public des points épineux de casuistique morale, ou de tonner contre certains vices qu’on se complaît à décrire. L’émission de la voix, le geste, l’idée de l’auditoire nombreux et attentif, et quelques autres circonstances semblables donnent à l’imagination de l’orateur une puissance qu’il ne retrouve pas dans la retraite de son cabinet.

Le même effet de dynamogénie est obtenu, mais avec une intensité moindre, par l’habitude d’écrire, c’est-à-dire d’objectiver sa pensée sur un morceau de papier ; l’image mentale est alors plus intense ; elle fait l’effet de quelque chose d’extérieur à celui qui l’a enfantée. De plus, il ne faut pas oublier que le langage parlé et sur-