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de pureté ne se réalise pas toujours ; bien des continents, tout en restant purs de corps, ont l’imagination beaucoup plus troublée que les pratiquants. On s’assure de l’importance, malheureusement trop générale, de cette observation, lorsque l’on fait soigneusement l’étude de certains mystiques à la fois continents et sensuels.

Au point de vue de la psychologie générale, on peut se rendre compte de cette espèce de balancement qui s’établit entre la fonction de l’idéation et la fonction motrice. La dernière de ces fonctions n’est que le prolongement de la première ; normalement, toute image, en continuant son évolution, devient mouvement ; on ne saurait penser sans qu’il y ait à l’état naissant quelque contraction musculaire ; penser, dit M. Bain, c’est se retenir de parler ou d’agir. Cette transformation incessante de la pensée en mouvement musculaire explique comment, quand les mouvements sont très intenses, très nombreux, très étendus, la pensée se trouve réduite à un minimum : toute la force nerveuse étant accaparée par la fonction motrice, il n’en reste plus assez pour entretenir la fonction d’idéation. L’exemple vulgaire qu’on en donne est celui de certaines convulsions accompagnées de perte de connaissance. — À l’inverse, ces considérations un peu vagues et élastiques permettent d’expliquer approximativement comment il se fait que l’érotisme s’épanouit chez le continent : c’est que l’image ne se dépense pas en mouvements.

Ajoutons que, dans l’érotisme, il n’y a pas seulement une puissante germination d’images ; l’élément émotionnel tient dans le phénomène une place considérable. Or on s’explique aussi pourquoi le sentiment d’amour, chez le continent, a des élans qui atteignent une hauteur inconnue au pratiquant. Le sentiment, d’après la définition la plus profonde qu’on puisse en donner, résulte d’une tendance à accomplir certains actes ; et c’est surtout quand cette tendance ne se satisfait pas, quand elle ne se dépense pas en actes, qu’elle devient intense, car elle s’accumule : la preuve, c’est qu’on ne connaît bien ses sentiments que du jour où une cause fortuite empêche de les satisfaire. C’est ainsi que nous comprenons cette double influence de la continence sur les images et sur les sentiments ; la continence, chez un sujet soumis à des excitations continuelles, est une barrière qui empêche la force nerveuse engendrée de se dégager au dehors par ses canaux habituels : alors elle s’accumule au dedans et produit ces manifestations considérables de l’imagination et du sentiment.

Nous désignerons le curieux travail de l’imagination qui se produit sous l’influence de la continence, par l’expression de rumination érotique des continents. Un tel sujet mériterait un livre entier ; nous