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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

tinents ; l’amant de l’œil féminin est même, à trente-deux ans, encore vierge. Relisez aussi l’observation de Rousseau, l’observation de l’amant des tabliers blancs, etc.

Que le fétichiste soit continent, quoi de plus logique ? Ce qu’il aime, c’est un objet inerte ou une fraction de personne vivante. Comment cet amour dévié, à insertion vicieuse, pourrait-il trouver une satisfaction légitime dans des rapports normaux ? Donc, par voie de conséquence, le fétichiste ne se reproduira pas. C’est encore logique, car le plus souvent ces malades sont des dégénérés, et l’effet ordinaire de la dégénérescence est la stérilité.

Mais il ne faut pas oublier que la continence est seulement l’effet du grand fétichisme et marque ainsi le degré auquel la perversion sexuelle a su s’élever. Il n’en est pas ainsi, je crois, chez les moyens et les petits fétichistes. Ce ne sont pas toujours et nécessairement des continents. Ce ne seront pas non plus, il est vrai, des viveurs ordinaires ; ils conserveront dans leurs relations sexuelles une marque spéciale, c’est surtout par l’imagination qu’ils jouiront. Chez eux le plaisir de l’imagination accompagnera toujours le plaisir matériel pour le compléter, pour le rehausser, pour lui donner toute sa valeur.

L’étude des effets psychiques de cette continence mérite de nous arrêter un instant. Examinons les faits dans leur ensemble, et prenons les choses de haut. La meilleure façon de comprendre la nature de l’instinct sexuel est de le comparer à un besoin organique, comme la faim ; comme la faim, il est périodique ; quand il a reçu satisfaction, il se calme pendant un certain temps, puis il se reforme petit à petit, et devient finalement impérieux à mesure que le jeûne se prolonge. Jusqu’ici nous sommes dans la règle physiologique. Mais ce que certaines observations, par exemple celle du nommé R…, nous apprennent de nouveau, c’est que, pendant la continence, ce n’est pas seulement le besoin sexuel organique qui augmente d’intensité ; les idées érotiques également, qui dépendent de l’imagination, deviennent plus intenses. La continence ne provoque pas seulement — qu’on nous passe cette expression — le cri de l’organe affamé ; elle exalte encore l’imagination érotique. Au moins, c’est ce qui se passe chez les sujets qui ont un tempérament sensuel et qui vivent dans un milieu excitant[1]. On peut donc affirmer une fois de plus à ceux qui considèrent la continence comme un état de pureté supérieur à la pratique régulière des rapports sexuels, que cet état

  1. Les réserves faites au texte ne doivent pas être oubliées : il paraît démontré que, chez quelques individus, les bienfaits de la continence sont plus considérables que ses inconvénients.