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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

cette tendance du fétichiste à se concentrer dans l’objet de son culte et à ne voir que cet objet. Cette étude est intéressante, car elle donne les moyens de reconnaître, à des signes précis, si une personne est ou non atteinte d’une perversion sexuelle.

Nous ferons d’abord remarquer que dans certains cas le sujet de l’observation éprouve un sentiment sexuel d’autant plus vif que l’objet a un volume plus considérable. Ainsi, il nous est dit que l’intensité du spasme augmente chez l’amateur des clous, s’il y a beaucoup de clous, si les clous sont gros, s’ils sont posés à des souliers plutôt qu’à des bottines. Ainsi plus l’objet de cette espèce de culte est gros, plus le sentiment est ardent. Dans une autre observation, celle de M. R.., nous trouvons un fait analogue. Ce malade, qui est l’amant de la main féminine, n’aime point les petites mains ; il préfère la grandeur moyenne, et même une grandeur un peu au-dessus de la moyenne. Ce n’est pas tout : dans la remarquable observation de M. Ball que nous avons reproduite, l’amant des yeux de femme n’aime pas les yeux petits ; il les désire très grands. S’il s’éprend un jour d’une jeune fille, c’est parce qu’il retrouve chez elle l’œil idéal qu’il adore, et M. Ball remarque sans être prévenu de l’importance de ce détail que la jeune fille a des yeux immenses.

Ce n’est pas sans raison que nous insistons sur ce point, qui, à première vue, paraît sans importance. En réalité, il n’y a rien d’insignifiant dans la nature. Ce qui paraît tel est seulement incompris. Pour comprendre l’intérêt que présente le fait pathologique dont nous venons de parler, il suffit de le mettre en rapport avec des faits normaux que l’on observe chaque jour autour de soi.

Darwin a observé, après Humboldt[1], que les sauvages ont une tendance à exagérer la particularité naturelle du corps qu’ils affectionnent. De là l’usage qu’ont les races imberbes d’extirper toute trace de poils sur le visage et sur le corps. Les indigènes de la côte nord-ouest de l’Amérique compriment la tête pour lui donner la forme d’un cône pointu ; en outre, ils ramènent constamment leurs cheveux pour former un nœud au sommet de la tête, dans le but d’accroître l’élévation apparente de la forme conoïde qu’ils affectionnent. Les Chinois ont naturellement les pieds fort petits, et on sait que les femmes des classes élevées déforment leurs pieds pour en réduire encore les dimensions. Nous pouvons observer dans nos modes européennes relatives au vêtement la même tendance à exagérer les formes du corps qui nous plaisent.

De même encore, si les bijoux ont souvent pour effet une excita-

  1. Descendance de l’homme, 2e édit., p. 637.