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Prenons le fait qui se rapproche le plus de l’état normal, celui où la perversion sexuelle est si légère qu’on pourrait presque douter de son existence. Il s’agit par exemple de Descartes qui a conservé, comme souvenir d’un premier amour, un penchant pour les yeux louches. En quoi ce penchant a-t-il quelque chose de pathologique ? On peut dire simplement qu’il tend à donner à un détail insignifiant de la personne physique une importance exagérée.

Il en est de même pour les amants de l’odeur ; si leur goût est excessif, ils en viendront à ne chercher que l’odeur ; peu importe que la femme soit vieille, ridée, bête, de condition inférieure ; elle répand telle odeur, cela suffit. Alors ce détail cutané deviendra le fait important, celui dans lequel tout se résume, le centre d’attraction de tous les désirs sexuels. Quand toutes les considérations d’âge, de fortune, de convenance morale, physique et sociale, se trouvent ainsi sacrifiées aux plaisirs de l’odorat, on est en face d’une perversion. Ce n’est pas tout ; le caractère morbide de ce penchant est également prouvé par les impulsions irrésistibles auxquelles il donne lieu ; le sujet qui reconnaît son odeur dans la femme qui passe dans la rue, est entraîné invinciblement à suivre cette femme ; il ne peut pas plus résister à cette impulsion que le dipsomane ne peut résister à la vue d’un verre de vin.

Ainsi, le fétichisme, dont nous arrivons maintenant à préciser la définition, consiste dans l’importance sexuelle exagérée que l’on attache à un détail secondaire et insignifiant. Cette importance varie d’ailleurs avec les cas, et peut servir à marquer le degré de la perversion. Nous notons que M. R…, qui éprouve un penchant si marqué pour la main féminine, n’en est cependant pas arrivé au point de sacrifier à cette main tout le reste de la personne ; il ne se résignerait pas à faire la cour à une femme vieille, ridée et sale, parce qu’elle aurait de jolies mains. Ce contraste lui est même fort pénible. Chez d’autres malades, le fait contraire se présente très nettement. Nous pouvons citer cet amant des yeux dont l’histoire a été racontée par M. Ball. L’éminent professeur le fit comparaître à sa leçon, et le pria de dessiner sur le tableau noir un œil de femme. Le malade obéit à cette invitation avec un plaisir évident, car rien n’est plus agréable que de s’occuper de ce qu’on aime. Après avoir tracé à la craie le dessin dont nous avons parlé plus haut, il déclara nettement que pour lui toute la femme se concentrait dans l’œil, et qu’il n’aimait que cet organe. Ainsi pour ce malade, qui occupe un rang élevé dans l’échelle des perversions sexuelles, l’œil est tout, il efface tout le reste de la personne physique et morale.

Nous pouvons à cet égard comparer cet aliéné à l’amoureux