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font pas exception à la règle ; elles peuvent, comme la force musculaire, s’accroître rapidement sous l’influence de certaines excitations. Les névropathes le savent bien ; et si on les voit constamment à la poursuite des sensations rares, c’est qu’ils comptent y trouver une source nouvelle d’énergie et de plaisir. Le goût du luxe, le changement fréquent d’amour, la recherche des situations inédites et piquantes, la crainte d’être surpris en flagrant délit d’adultère, les scrupules religieux, et tous ces raffinements inventés par l’imagination subtile des blasés attestent une recherche inconsciente des excitations sensorielles qui peuvent, en dynamogéniant le sujet, augmenter le plaisir de l’amour. Évidemment, ce n’est pas là du fétichisme, bien que cela y touche de près. Le fétichiste vrai ne se contente pas de s’entourer d’un milieu dynamogène ; il ne se borne pas à rechercher les excitations qui accroissent son énergie ; il choisit une espèce particulière d’excitation, parce qu’elle lui plaît en elle-même et pour elle-même, et qu’il trouve du plaisir à s’en pénétrer et à s’en saturer. Pour lui, l’excitation choisie entre mille n’est pas un moyen, mais une fin. Cependant les deux situations offrent beaucoup d’analogie.

Examinons maintenant quelle origine peut être assignée au fétichisme amoureux.

Toute la psychologie de l’amour est dominée par cette question fondamentale : Pourquoi aime-t-on telle personne plutôt que telle autre ? Pourquoi désire-t-on posséder une femme belle, quand on sait fort bien que la beauté n’ajoute rien à la qualité et à l’intensité de la sensation génitale ? Cela prouve que l’être aimé est quelque chose de plus qu’une source de plaisir. Il serait tout à fait ridicule de penser que si des hommes meurent d’amour pour une femme qu’ils ne peuvent pas posséder, c’est parce qu’ils lui demandaient en vain une petite sensation matérielle que la première femme venue aurait pu leur donner. Il faut être naïf et incompétent comme Spinoza pour définir simplement l’amour Titillatio, concomitante idea causæ externæ. (Eth., IV, 44.) Ce qui inspire l’amour général est donc autre chose que la recherche d’une impression physique ; c’est ce qu’on peut appeler d’un mot général la recherche de la beauté ; il est bien entendu que ce mot a plusieurs sens, et que chacun a le droit de l’interpréter à sa façon.

Ce besoin de beauté, que l’on retrouve dans tout amour s’élevant au-dessus de la brute, offre ce caractère tout particulier d’être un besoin purement cérébral, incapable de recevoir directement une satisfaction matérielle.

C’est dans ce besoin cérébral que nous plaçons l’origine du féti-