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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

des idées et des sentiments. C’est cette loi qui, à notre avis, donne la clef du problème.

Grâce à une association d’idées, nous avons vu des objets inertes et insignifiants comme des bonnets de nuit devenir un foyer intense de plaisir ; si l’on remplace, dans les mêmes conditions, l’objet inerte par l’acte indifférent d’une personne, l’acte produira également, par association d’idées, une impression agréable. Si l’acte est douloureux, comme la flagellation donnée par une main de femme, il pourra également acquérir, par association d’idées, la propriété de paraître agréable. Alors, chose bizarre, le phénomène sera à double face. Directement, la blessure faite par la main aimée sera douloureuse — et indirectement, par association d’idées, elle sera voluptueuse ; de là ce double caractère, opposé et contradictoire, du même fait. C’est bien ce qui s’est passé chez Rousseau. S’il aime se courber, se prosterner, s’aplatir devant une maîtresse adorée, s’il appelle les coups d’une blanche main sur son échine, c’est que ces divers actes, quoique douloureux pour la sensibilité physique et morale, ont acquis, par association, la propriété d’éveiller la volupté.

De même que tel malade adore un bonnet de nuit, ou un clou de bottine, lui il adore la souffrance physique causée par une femme. C’est une dernière espèce de fétichisme, ce n’est pas la moins étrange.

Remarquons encore que ce qui donne à ce phénomène un caractère à part, c’est qu’il réside dans l’accolement de deux sentiments contraires. L’acte douloureux en lui-même devient agréable non par les idées accessoires qu’il réveille par les sentiments dérivés qui se sont joints à lui. Aussi, la juxtaposition de ces deux sentiments opposés produit-elle les mêmes effets de contraste que la juxtaposition de deux couleurs complémentaires, le vert et le rouge.

IV

Il ne suffit point de réunir des faits, il faut les comprendre et les expliquer. Essayons de tirer quelques conclusions des observations que nous avons réunies sur le fétichisme.

Le fétichisme amoureux pourrait être compris sous cette rubrique générale des rapports entre l’instinct sexuel et les excitations sensorielles ; mais il occupe une place à part dans ce vaste sujet.

Tout d’abord, il est aujourd’hui bien démontré que les excitations des sens ont cette commune propriété de produire — surtout chez les hyperexcitables — une dynamogénie générale et passagère de toutes les fonctions physiologiques ; les fonctions sexuelles ne