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L’auteur a reçu une impression analogue à celles que nous connaissons, nous présumons qu’elle a été produite par un fait analogue à ceux qui produisent cette impression. Le fondement de ce principe est l’analogie entre les procédés de perception de tous les hommes ; mais cette analogie varie avec les états d’esprit. Pour pouvoir établir une analogie exacte entre l’impression de l’auteur et les impressions que nous connaissons, il faut donc connaître les circonstances dans lesquelles a été placé l’auteur et son état d’esprit ; de ces deux conditions dépend la valeur d’une perception :

1o La perception a d’autant plus de chances d’être conforme au fait que le contact peut être plus complet entre le fait et l’observateur, c’est-à-dire que le fait dure plus longtemps, qu’il se produit sur une plus grande étendue, qu’il est plus à portée de l’observateur, qu’il est composé d’éléments plus grossiers et moins nombreux.

2o La perception a d’autant plus de chances d’être conforme au fait que l’observateur est plus capable de former un jugement de perception correct, c’est-à-dire qu’il est, au moment de l’observation, mieux en état de diriger son attention sur le fait, d’analyser les perceptions multiples qui composent une impression totale, de distinguer ses perceptions réelles de ses inférences.

Ces conditions se rencontrent rarement aujourd’hui. La plupart des hommes que nous voyons sont incapables d’attention, analysent mal, et prennent leurs inférences pour des perceptions. Ce qu’ils perçoivent, ce n’est pas le fait dans son entier, ce sont quelques éléments qui les intéressent davantage ou qu’ils sont plus habitués à percevoir ; ils perçoivent le fait à travers l’idée qu’ils s’en faisaient d’avance. Il faut un apprentissage pour bien observer ; aussi les savants font-ils très peu de cas d’un fait recueilli par un homme qui n’a pas appris à observer.

La probabilité qu’une observation soit exacte varie donc à l’infini. Elle peut être ou équivalente à une certitude ou nulle. L’expérience seule montre à quel degré de probabilité correspond aujourd’hui chaque groupe de conditions ; nous admettons par analogie le même degré de probabilité pour des observations anciennes faites dans des conditions semblables. Pour se prononcer sur la valeur d’une observation il faut donc connaître et les conditions du fait et les conditions de l’observateur. Quand nous les connaissons par notre expérience personnelle, nous obtenons un terrain solide où appliquer les principes généraux de l’expérience psychologique. C’est cette connaissance exacte des conditions de l’observation qui permet à un savant d’accepter sans contrôle les observations d’un collègue dont il connaît la méthode, ou même les observations des savants connus en