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LE FÉTICHISME DANS L’AMOUR

(Fin)[1]

III

Le culte du fétichiste ne s’adresse pas toujours à une fraction du corps d’une personne vivante ou à un objet inerte ; il peut se porter sur autre chose, sur une qualité psychique.

Une importante observation, due à Rousseau, fera la lumière sur cette forme raffinée du fétichisme amoureux.

Le fait relaté par Rousseau se rapporte au temps où il fut mis en pension à Bossey, chez le ministre Lambercier, pour y apprendre le latin. Il avait alors huit ans. Notons tout de suite que les perversions sexuelles se forment de bonne heure.

« Je me souviendrai toujours, dit-il, qu’au temple, répondant au catéchisme, rien ne me troublait plus, quand il m’arrivait d’hésiter, que de voir sur le visage de Mlle Lambercier, des marques d’inquiétude et de peine. » — Mlle Lambercier sœur du ministre, avait alors une trentaine d’années. « Cela seul m’affligeait plus que la honte de manquer en public, qui m’affectait pourtant extrêmement, car, quoique peu sensible aux louanges, je le fus toujours beaucoup à la honte ; et je puis dire ici que l’attente des réprimandes de Mlle Lambercier me donnait moins d’alarmes que la crainte de la chagriner.

« Cependant elle ne manquait pas au besoin de sévérité, non plus que son frère, mais comme cette sévérité, presque toujours juste, n’était jamais emportée, je m’en affligeais et ne m’en mutinais point…

« Comme Mlle Lambercier avait pour nous l’affection d’une mère, elle en avait aussi l’autorité, et la portait quelquefois jusqu’à nous infliger la punition des enfants quand nous l’avions méritée. Assez longtemps, elle s’en tint à la menace, et cette menace d’un châtiment tout nouveau pour moi me semblait très effrayante, mais après l’exécution, je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avait été, et ce qu’il y a de plus bizarre est que ce châtiment m’affectionna

  1. Voir le numéro précèdent de la Revue.